Aux racines du déclin français, on trouve le déni du réel et la généralisation du mensonge qui a envahi le discours politique.
François Hollande a demandé à être jugé aux résultats. Ceux-ci sont là : le réenchantement du rêve français a viré au cauchemar. Au plan économique, le choc fiscal a coupé la France de la reprise qui s’affirme dans le monde développé et en Europe. La croissance atteindra au mieux 0,9 % en 2014, contre 2 % en Allemagne, 2,4 % au Royaume-Uni et 2,7 % aux États-Unis. La relance dans les pays du Nord est portée par les gains de productivité, l’investissement, les profits des entreprises, qui permettent le redressement durable des comptes publics et extérieurs. Au même moment, le taux de marge des entreprises touche en France son plus bas niveau historique à 27,7 %, tandis que l’investissement et les exportations poursuivent leur interminable chute.
Au plan social, plus le nombre de chômeurs augmente, plus la courbe du chômage est réputée s’inverser pour obéir à la promesse de François Hollande lors de ses vœux pour 2013. La destruction de plus de 100 000 emplois marchands par an va plus vite que la création de dizaines de milliers d’emplois subventionnés dans le secteur public pour 3,3 milliards d’euros. Le chômage de longue durée frappe plus de 2 millions de personnes dont l’employabilité se dégrade rapidement. Faute de reprise réelle et compte tenu des nouvelles hausses d’impôts et de charges, le chômage continuera à augmenter en 2014 pour atteindre au moins 11 % de la population active.
Au plan national, la République repose sur la sécurité des biens et des personnes, qui constitue le premier droit de l’homme, et sur la volonté de vivre ensemble, deux conditions premières pour prévenir la guerre civile. Or il n’est plus en France de territoire ou de citoyen qui ne se trouve protégé contre l’effondrement de l’ordre public. Les communautarismes explosent et sont ouvertement confortés par les politiques publiques, notamment dans le domaine social et éducatif. Enfin, le démantèlement systématique des pôles d’excellence publics et privés nourrit l’exil massif des cerveaux, des entrepreneurs, des individus à haut potentiel qui ne se voient plus d’avenir dans notre pays.
Sur les théâtres extérieurs que sont le Mali et la Centrafrique, la France reste diplomatiquement isolée et militairement enlisée, faute de stratégie de sortie de crise politique. Par ailleurs, le budget des opérations extérieures, qui dépasse 1,2 milliard d’euros, n’est pas financé, sinon par la cannibalisation des budgets d’équipement. Seules les réformes peuvent permettre le redressement de la France Mais comment parler de pacte de responsabilité pour les entreprises, alors que celles-ci luttent pour leur survie face à la dégradation de leurs marges et à l’envol de leur endettement ? Qui peut penser améliorer la compétitivité, alors que les salaires augmentent de plus de 2 % par an et que le coût du travail horaire culmine à 35,50 euros en France contre 32,5 en Allemagne, 28 en Italie et 21 en Espagne ? Quelle est la flexisécurité qui se réduit à taxer les contrats de travail et qui interdit de facto le travail du dimanche ou l’ouverture nocturne des magasins ? Qui peut croire à une réforme des retraites qui revient à rétablir l’âge légal à 60 ans pour la moitié d’une classe d’âge et à 58 ans dans le BTP du fait du cumul des carrières longues et de la pénibilité, tout en excluant de son champ la fonction publique comme les régimes spéciaux ? Quel cynisme faut-il pour annoncer une pause fiscale au moment où l’on inflige aux ménages 12,5 milliards d’euros d’impôts supplémentaires et à des entreprises exsangues 2,5 milliards de prélèvements ? De quelle baisse des dépenses publiques parle-t-on, qui se définit par un ralentissement de leur hausse, qui atteindra plus de 10 milliards d’euros ? Avec qui prétend-on impulser une relance européenne alors que la France se trouve isolée dans son refus de se réformer entre l’Europe du Nord, qui renforce sa compétitivité, et l’Europe du Sud, qui touche les dividendes de son ajustement ? Comment tenir un discours de la puissance tout en détruisant les moyens de la puissance ?
Au-delà de la gauche, la classe politique française a perdu toute légitimité du fait de son incapacité à affronter le réel. À l’inverse d’Angela Merkel, qui, en dépit de la réussite politique de la réunification et du second miracle économique allemand, rappelle à ses concitoyens que « la ménagère souabe, elle, sait bien que l’on ne peut durablement dépenser plus que ce que l’on gagne »et aux Européens que « tôt ou tard, l’euro explosera sans la cohésion nécessaire ». La France se réveillera lorsqu’elle acceptera de faire la vérité sur ce qu’elle est dans le monde tel qu’il est. Les deux leviers extérieurs que constituent les engagements du traité budgétaire européen et les marchés financiers étant désarmés, c’est aux Français qu’il revient de faire revenir leurs dirigeants – majorité et opposition – à la réalité. Par les urnes, avec le risque d’un emballement de l’extrême droite. Par la mobilisation, avec le risque d’un débordement de la violence, si grands sont aujourd’hui la colère et le désespoir face au grand mensonge.
(Chronique parue dans Le Figaro du 06 janvier 2014)