Réinventer notre modèle est vital. Si les dirigeants français ne veulent pas le faire, les Français peuvent les y obliger.
Jamais, depuis 1936, la France n’est entrée dans une année électorale importante dans un tel état de déclin économique et social, de division intérieure et d’isolement international. Après les agences de notation et la Cour des comptes, la Commission européenne a placé notre pays sous surveillance, soulignant la diminution constante de la compétitivité, la rigidité et le coût du travail qui obèrent les marges des entreprises, l’installation du chômage structurel, le déficit de la balance courante (2 % du PIB) et la dérive des finances publiques qui conduit la dette à 100 % du PIB en 2017. La jeunesse, condamnée au chômage et à l’exil, comme les immigrés, est exclue et tentée par la révolte. Les classes moyennes sont laminées par le chômage et la répression fiscale. Marginalisée sur la scène internationale et éclipsée par le leadership allemand en Europe continentale, la diplomatie française tente de faire illusion en multipliant en Afrique des interventions militaires dont elle n’a plus les moyens.
Nul ne peut dès lors s’étonner qu’un climat délétère, qui présente de fortes ressemblances avec les années 1930, sape la République. La France est le royaume de la défiance : 89 % des Français sont hostiles aux partis, 85 % d’entre eux s’inquiètent à juste titre du déclin et 69 % se déclarent convaincus que la démocratie ne fonctionne pas. Face à la délégitimation des institutions et à la disparition de l’ordre public, la tentation de la violence gagne. Les passions collectives se déchaînent, avec pour cible les riches, les étrangers, le marché et l’Europe, et désormais les Juifs.
Face à cet effondrement intérieur qui fait écho à la débâcle militaire de 1940, la classe politique française a noué un pacte d’irresponsabilité.
François Hollande, le président de la République le plus faible et le plus impopulaire depuis 1958, a certes crevé la bulle du déni de sa campagne mais s’enferme dans sa statue de monarque impotent. Lui qui dispose des pouvoirs les plus étendus parmi les chefs d’État et de gouvernement des démocraties développées, n’en use pas pour mettre en œuvre les réformes indispensables au pays mais pour gérer les équilibres du Parti socialiste et de sa majorité désunie.
Son gouvernement mort-né, car organisé en galaxie pléthorique autour du trou noir qui tient lieu de premier ministre, est tétanisé par la perspective du remaniement. L’administration, qui n’est plus dirigée, se partage les ultimes ressources levées grâce au choc fiscal sur une économie et une société exsangues.
L’opposition est également un bateau ivre, dénué de chef, de stratégie et de projet crédibles. L’UMP n’est forte que de ses dettes, de ses fraudes en bande organisée, de l’arnaque de ses propres militants et sympathisants. En guise d’examen critique et raisonné du quinquennat de Nicolas Sarkozy qui constituerait le préalable à l’élaboration d’un programme de redressement, s’impose la lamentable chronique des affaires, des trahisons et des parjures.
Dans un moment critique de l’histoire où la disparition du communisme et la déflation ont fait basculer la révolution à droite, le résultat est mécanique : un boulevard s’ouvre devant le Front national. L’accélération inouïe de la crise nationale appelle désormais des choix radicaux.
Le président de la République joue sa capacité à achever son mandat sur la mise en œuvre rapide du pacte de responsabilité. Soit il parvient à lui donner corps, à mobiliser la majorité politique et les forces de la société civile qui sont indispensables à son succès, et il peut se sauver en même temps que la France. Soit la modernisation du modèle français sera imposée de l’extérieur par les marchés, la Commission européenne et l’Allemagne et François Hollande devra tirer toutes les conséquences d’avoir, en digne héritier d’Albert Lebrun, présidé à l’aliénation de la souveraineté nationale.
Pour l’opposition, l’alternative qui se présente au lendemain des élections municipales n’est pas moins tranchée. Soit la rénovation complète de l’UMP, avec une nouvelle équipe dirigeante et la mise au point d’un programme de redressement national. Soit la refondation d’une opposition républicaine hors de l’UMP. La situation de notre pays devenu l’homme malade de l’Europe et le désespoir qui monte chez les Français interdit de se contenter de gagner sur le simple rejet de François Hollande ; il faudra cette fois-ci être capable de présider et de gouverner, c’est-à-dire de rassembler une forte majorité et de mobiliser les citoyens au service d’une stratégie globale et cohérente de réforme.
Les Français, face à la corruption du système politique et à l’irresponsabilité de leurs dirigeants, sont les derniers remparts de la liberté et de la démocratie. Ils doivent utiliser les urnes plutôt que la rue pour infliger à François Hollande et au Parti socialiste la sanction historique qu’ils méritent, tout en déjouant le piège de l’extrémisme qui prospère sur les maux du pays sans leur apporter aucune solution.
Pour tous s’impose une réflexion sur les institutions de la Ve République qui, au fil des révisions qui l’ont pervertie, se réduit à un despotisme impuissant au service d’un État en faillite. Imaginée comme l’arme de destruction du régime des partis, elle est devenue une partitocratie monopolisée par la fonction publique, une tyrannie molle à irresponsabilité illimitée. Comme en 1958, la réinvention du modèle économique et social ainsi que le repositionnement de la France dans la mondialisation passent par la refondation de la République.
(Chronique parue dans Le Figaro du 10 mars 2014)