La France a de nouveau un Premier ministre, après 23 mois d’un quinquennat cauchemardesque. Face à lui, de nombreuses inconnues se dessinent.
Depuis le 8 avril, la France a de nouveau un premier ministre. Et ce premier ministre a fait la démonstration qu’il dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale. En trois quarts d’heure d’un discours énergique, ponctué par une vibrante déclaration de foi dans la France dont il a choisi d’adopter la nationalité et d’épouser les valeurs, Manuel Valls a fait oublier l’insoutenable errance de Jean-Marc Ayrault. En plaçant son action sous le signe de la vérité et de l’efficacité, il assume l’héritage de la deuxième gauche, modernisatrice et libérale, dans la continuité de Pierre Mendès France et Michel Rocard. Mais il reste douteux que cette rupture de style salutaire suffise à sauver le quinquennat mort-né de François Hollande.
Force est de constater que Manuel Valls a enterré vingt-deux mois cauchemardesques, tout en réussissant à ne pas se mettre en porte-à-faux vis-à-vis du président de la République. Il a rompu avec le déni en prenant acte de la crise nationale d’une France rétrécie et du désespoir des Français. En annonçant 50 milliards de baisses d’impôts et de charges, il s’est situé à contre-pied du choc fiscal théorisé par Thomas Piketty et orchestré par François Hollande, qui a cassé la croissance potentielle, provoqué l’envolée du chômage et fait le lit du Front national. Il s’est lancé dans un éloge de l’entreprise, du risque et de l’innovation. Il s’est distancié de l’antisarkozisme avec la baisse des charges visant à augmenter de 50 euros net par mois le revenu des salariés payés au smic dont l’effet est équivalent à celui de la défiscalisation des heures supplémentaires. Enfin, il a proposé une réforme majeure des institutions avec le big bang territorial qui se donne pour objectif la réduction de moitié des régions, la disparition des départements, la suppression de la clause de compétence décidée en 2010 et absurdement rétablie en 2013.
Sous le succès tactique de ce mouvement qui évite la rupture ouverte avec François Hollande et le Parti socialiste pointent cependant de lourdes inconnues :
- La première concerne la création d’une nouvelle et gigantesque impasse financière. D’un côté, on trouve 50 milliards d’euros de baisses d’impôts et de charges, hors la diminution de 38 % à 28 % de l’impôt sur les sociétés d’ici à 2020, soit 15 milliards de plus qu’envisagé. De l’autre, seuls 39 milliards d’euros d’économies ont été évoqués sur les 50 projetés. Le déficit supplémentaire s’élève au minimum à 26 milliards d’euros, soit 1,5 % du PIB, ce qui, ajouté à la prévision européenne de 4 % du PIB, porte le déficit autour de 5,5 % du PIB, avec pour conséquence une dette au-delà de 100 % du PIB dès 2016.
- La deuxième préoccupation est stratégique, liée à la persistante ambiguïté d’une politique économique. La baisse des charges sur les bas salaires constitue une mesure favorable à l’emploi plus qu’à la compétitivité car, à l’image du CICE, elle bénéficiera peu à l’industrie, à l’exportation et aux secteurs les plus exposés. Par ailleurs, la distribution de pouvoir d’achat financé par la dette vise à soutenir à court terme la consommation alors que le handicap majeur de la France réside dans l’effondrement de l’offre productive.
- La troisième incertitude affecte le calendrier et les réformes structurelles. Les baisses d’impôts et de charges sont immédiates ; les économies restent floues ; la refonte de l’État territorial est reportée pour l’essentiel au prochain quinquennat. Surtout, aucune mesure systémique ne porte sur les chantiers décisifs que sont la protection sociale et ses 600 milliards de dépenses, la fonction publique, la flexibilité du marché du travail.
- La dernière source d’inquiétude provient de l’isolement de la France. La tentative de rendre confiance aux Français en réactivant le modèle de croissance à crédit ne peut manquer d’accroître la défiance de nos partenaires européens et des marchés. Elle contraste avec la stratégie de l’Italie de Matteo Renzi qui, bien qu’il puisse tabler sur un excédent primaire de près de 3 % du PIB, a réaffirmé l’objectif d’un déficit de 2,6 % en 2014 en réduisant de 12,6 milliards d’euros les dépenses publiques.
Par son brio, Manuel Valls a réussi à se dégager des marges de manœuvre et à fournir à François Hollande le sursis qu’il attendait de lui. Mais ce n’est qu’un sursis. Il est l’otage de la faiblesse et de l’impopularité du président comme de l’hétérogénéité de sa majorité et de l’archaïsme du PS qui continue à refuser tout aggiornamento social-démocrate. Après la rupture dans le style et dans les mots, Manuel Valls doit convaincre très vite sur sa capacité à peser sur les choses et sur les événements. Ce qui ne fut pas le cas au ministère de l’Intérieur, où la rhétorique républicaine s’est brisée sur la dégradation de l’ordre public et l’érosion de la paix civile.
(Chronique parue dans Le Figaro du 14 avril 2014)