La débâcle du groupe Alstom est de la responsabilité de nos dirigeants politiques. Si seulement cet échec pouvait leur servir de leçon.
Dans une économie ouverte et mondialisée, les acquisitions ou les regroupements d’entreprises transfrontières sont logiques et souhaitables puisque la taille du marché devient planétaire et que de nouveaux concurrents apparaissent au sein des pays émergents. Par ailleurs, la constitution de champions multinationaux, dont la voie a été ouverte par l’alliance entre Renault et Nissan, se révèle très pertinente dans un système multipolaire où il faut universaliser les processus de production tout en s’adaptant à la diversité des cultures.
Pour autant, l’émotion suscitée par le démantèlement d’Alstom et la vente de son pôle énergétique est légitime. D’abord parce qu’Alstom constitue un pan de l’histoire industrielle de notre pays, ce qui contribua à justifier son sauvetage par une nationalisation temporaire en 2004. Ensuite parce que l’opération aboutira à l’adossement à des entreprises étrangères de deux pôles d’excellence décisifs dans l’énergie mais aussi, à terme, dans les transports. Enfin parce qu’elle donne le coup de grâce à l’industrie française, qui, du fait des faillites, des restructurations et des délocalisations déguisées en fusions entre égaux, représente désormais moins de 12 % de la valeur ajoutée et a perdu 2 millions d’emplois en deux décennies.
Alstom, venant après Pechiney vendu à Alcan, Arcelor cédé à Mittal, EADS et Publicis réinstallés aux Pays-Bas, Solvay-Rhodia en Belgique et Lafarge-Holcim en Suisse, est le symbole d’une France qui se vide de sa substance économique. Le problème ne vient pas des fusions transnationales, indissociables du capitalisme universel, mais d’un mouvement à sens unique qui constitue une exception au sein des pays développés : l’exil massif hors de France des pôles d’excellence, des centres de décision, des capitaux, des entrepreneurs et des cerveaux. L’avenir des entreprises françaises qui vont bien est à l’étranger pour trouver des perspectives de développement et échapper à une réglementation et une fiscalité meurtrières. L’avenir des entreprises françaises qui vont mal est à l’étranger pour trouver les ressources en capital et la capacité de conduire les restructurations indispensables.
Les raisons de cette débâcle sont parfaitement connues. À l’image de Peugeot et de nombreux groupes français, Alstom se trouve confronté à un triple problème économique – du fait de l’effondrement du marché européen – , financier – du fait de fonds propres et de profits insuffisants qui vont de pair avec un endettement excessif – et stratégique – qui résulte d’un manque de taille critique et de compétitivité face à la poussée des émergents. La cause principale demeure la chute de la compétitivité des entreprises et du territoire français, qui s’est transformé en enfer pour la production et l’emploi compte tenu du poids des impôts et des charges, de la rigidité du travail, du coût du capital et de l’énergie, de la complexité et de l’instabilité de la réglementation, de l’interventionnisme de l’État.
Les premiers responsables ne sont pas les chefs d’entreprise qui cherchent en dernier recours des solutions à l’extérieur pour pérenniser les activités et les emplois, mais les dirigeants politiques qui ont ruiné le site France. La meilleure illustration en est fournie par l’improbable duo formé par Arnaud Montebourg et François Hollande, qui, tels Don Quichotte et Sancho Pança chargeant les moulins à vent, se montrent incapables de redescendre du ciel de l’idéologie pour agir dans le monde réel. La faillite du colbertisme national est aggravée par le désastre de la politique européenne, notamment dans les télécommunications, les transports ou l’énergie où elle réussit à jouer contre le pouvoir d’achat des ménages, contre la compétitivité des entreprises, contre la sécurité du continent et contre l’environnement avec la remontée des émissions de gaz à effet de serre.
La fin d’Alstom devrait, comme celle de Creusot-Loire en 1984, provoquer l’électrochoc indispensable pour refaire de la France un territoire compétitif. Et ce autour de quatre principes :
- L’industrie conserve un caractère stratégique en raison de ses effets d’entraînement sur l’emploi, sur les revenus, sur les exportations (80 %) et sur l’innovation (qu’elle assure à 88 %). Au plan macroéconomique, le second miracle allemand comme la renaissance actuelle des États-Unis, qui s’imposent comme le pays des relocalisations manufacturières, sont tirés par le renouveau de l’industrie ; au plan microéconomique, le succès présent de General Electric résulte de son recentrage sur l’industrie au détriment des services financiers et des médias.
- Le redressement de l’industrie comme des entreprises françaises est impossible sans une réhabilitation du capital, indispensable pour innover, moderniser. D’où l’urgence qui s’attache au démantèlement de la fiscalité confiscatoire mise en place depuis 2012, à l’orientation de l’épargne longue vers les entreprises, à la constitution de fonds de pension et de fonds de restructuration, qui sont la clé d’une base capitalistique nationale.
- Le rôle du politique n’est pas de se substituer aux dirigeants d’entreprise ou aux actionnaires mais de mettre en place une stratégie de compétitivité. Le pacte de responsabilité n’est qu’un premier pas ; il doit être prolongé par une redéfinition du modèle économique et social français : diminution drastique des impôts et des charges sur la production, libéralisation du marché du travail, baisse des dépenses publiques, refonte de l’État et de la protection sociale.
- Enfin, les politiques européennes, notamment dans l’énergie, doivent être totalement repensées pour privilégier la compétitivité, l’emploi et la sécurité.
(Chronique parue dans Le Figaro du 05 mai 2014)