Le régime d’Assemblée et la tyrannie des partis marquent un tournant dans nos institutions.
La crise nationale que traverse la France connaît une spectaculaire accélération. La cession des activités d’Alstom dans l’énergie illustre l’emballement de la désindustrialisation et confirme que la France se vide de ses pôles d’excellence, de ses centres de décision, de ses capitaux, de ses entrepreneurs et de ses cerveaux. La paupérisation des Français qui découle du blocage de la croissance et l’inexorable montée du chômage laminent les classes moyennes et encouragent la violence sociale. Le populisme se déchaîne, permettant au Front national de nourrir l’espoir de sortir en tête des élections européennes. La France est isolée en Europe et moquée dans le monde, avec une diplomatie réduite à faire de la figuration face aux conflits qui se multiplient à la périphérie du continent.
Or, loin de mobiliser au service d’un sursaut national les institutions de la Ve République, régime illibéral et peu démocratique mais taillé sur mesure pour la gestion des crises, François Hollande, du fait de son indécision, de sa faiblesse de caractère et de son impopularité, réinstalle la France dans la paralysie de la IVe République. Le vote de la trajectoire budgétaire du 29 avril par une majorité réduite à 265 voix, contre 306 lors du discours d’investiture du 8 avril, ne constitue pas un accident de parcours mais un changement de régime. Il marque un tournant dans nos institutions en même temps que l’échec de la tentative de relance du quinquennat incarnée par Manuel Valls autour d’une ligne sociale-démocrate, en rupture avec la démagogie de la campagne présidentielle et du gouvernement Ayrault.
Avec Manuel Valls, François Hollande a joué son va-tout. Moins de deux années ont suffi pour administrer la preuve que le président ne possède aucune des qualités que les citoyens sont en droit d’attendre d’un chef de l’État, et pour consacrer son échec. Impopularité record au point de ne plus pouvoir sortir du palais de l’Élysée sans être l’objet de lazzis – même lorsqu’il prétend honorer Jean Jaurès à Carmaux ! Débâcle économique cumulant l’arrêt de tous les secteurs d’activité en raison du choc fiscal, l’explosion du chômage, l’envolée des déficits et de la dette. Discrédit en Europe et dans le monde avec le manquement chronique aux engagements pris.
La nomination de Manuel Valls à Matignon, imposée par la déroute historique des municipales, a introduit une triple rupture :
- Rupture dans le style, direct et énergique, à la limite par – fois de la brutalité, qui tranche avec la mollesse de Jean-Marc Ayrault.
- Rupture dans la méthode gouvernementale, tendue vers l’action et non plus organisée pour entretenir la confusion.
- Rupture politique avec une posture mendésienne qui entend faire la vérité sur la situation critique du pays comme sur la nécessité d’un tournant pour endiguer la spirale du déclin.
C’est cette mécanique de choc et de vitesse qui vient d’être cassée net par les députés socialistes. Sur le fond, ils ont contraint le Premier ministre à renoncer à la rigueur budgétaire dans les deux domaines clés de la fonction publique et des retraites, alors même que les Français sont convaincus de son bien-fondé et que le gel des pensions comme du point d’indice est logique en période de très faible inflation. Par leur vote, ils ont fait basculer le quinquennat dans un régime de majorité relative qui oblige l’exécutif à négocier chaque texte non seulement avec les groupes parlementaires mais avec chaque député. Et ce au prix de compromis antinomiques du redressement et destructeurs pour l’intérêt national, comme le montreront le collectif budgétaire et la future loi sur la transition énergétique.
Le constat est amer : Jean-Marc Ayrault n’avait ni cap ni gouvernement, mais disposait d’une majorité ; Manuel Valls dispose d’une ligne politique, mais ne peut compter que sur un gouvernement de coalition fragile et n’a plus de majorité. Dès lors, son mandat se réduit à la chronique d’une défaite annoncée. Car toute sa crédibilité se jouait dans la définition d’objectifs clairs, d’un programme précis et de la restauration de la capacité d’action du politique. Elle se trouve d’emblée réduite à néant par la fronde des députés socialistes, encouragée par l’absence d’autorité du président et devenue incontrôlable avec la panique qui gagne depuis les municipales.
Sur le plan des institutions, François Hollande a ramené la France à l’impuissance et aux pratiques délétères de la IVe République. Le régime d’Assemblée et la tyrannie des partis sont de retour. Par ses reniements et ses échecs en chaîne, le président de la République cumule l’impopularité auprès des Français, l’éclatement de sa majorité et la rébellion du Parti socialiste. L’exécutif est ainsi l’otage du PS, dont Martine Aubry n’avait rétabli l’unité apparente qu’au prix d’une dérive idéologique fondée sur la détestation du marché et de l’entreprise, de l’Europe et de la modernité. Manuel Valls a tenté l’opération de la dernière chance pour sauver le quinquennat de François Hollande. Elle est mort-née, prise en tenaille entre, d’une part, le rejet massif d’un président de circonstance qui n’aurait jamais dû accéder à l’Élysée, et, d’autre part, un gouvernement de coalition à la merci d’une majorité relative dépendant de Khmers roses.
Les Français ne peuvent ni reprendre confiance en eux-mêmes ni se mobiliser au service du redressement sous la houlette d’un président et d’une majorité qu’ils méprisent. Manuel Valls, qui se rêvait en sauveur du président et en rénovateur de la gauche, sera leur syndic de faillite. Avec trois issues possibles. Le pourrissement en cas d’amélioration de la situation économique portée par la reprise européenne. La dissolution en cas de suicide de la majorité relative qui n’est plus unie que par le ressentiment et la peur. La révolte des Français face à l’impuissance du Parti socialiste à conduire une stratégie de sortie de crise, en écho à celle de la SFIO à trouver une issue à la guerre d’Algérie.
(Chronique parue dans Le Point du 08 mai 2014)