Le big bang territorial est fondamental pour débloquer la France.
La croissance zéro de l’économie française au premier trimestre 2014 contredit une nouvelle fois l’optimisme irraisonné de François Hollande, qui prétendait le 4 mai que « le retournement arrive ». Elle confirme en revanche que notre pays est en passe de rater le train de la reprise au moment où l’activité progresse vivement en Allemagne et au Royaume-Uni (2,3 % et 2,7 % en rythme annualisé). Elle souligne également le caractère structurel de la stagnation française. Les réformes de structure constituent la seule issue pour échapper au cercle infernal de la croissance zéro, du chômage de masse et des déficits jumeaux des finances publiques et de la balance commerciale. Deux objectifs sont prioritaires : débloquer la croissance par une politique de l’offre ; engager l’assainissement budgétaire par la baisse de la dépense publique. À ces deux objectifs répondent deux engagements qui, s’ils sont effectivement tenus, marqueraient une rupture salutaire dans le quinquennat et la politique économique de la France : le pacte de responsabilité et la réforme territoriale. Le premier doit engager la diminution des dépenses publiques ainsi que des impôts et des charges, qui détruisent les entreprises et les postes de travail. La seconde doit dégager de 12 à 15 milliards d’économies d’ici à 2020 en réduisant de moitié le nombre des régions, en supprimant le département, en clarifiant les compétences et les financements des collectivités grâce à la disparition de la clause de compétence générale.
Le big bang territorial est fondamental pour la réforme de l’État. Le maillage du territoire autour de la région, des métropoles et de quelque 5 000 intercommunalités mettrait fin à la coûteuse aberration qui voit notre pays compter à lui seul 41 % des collectivités des 28 États de l’Union européenne. Les effets pervers de ce millefeuille sont bien connus : multiplication anarchique des niveaux administratifs, des élus (525 000), des dépenses (236 milliards d’euros, en hausse de 60 milliards depuis vingt ans) et des effectifs (1 695 000 agents, en progression de 75 % depuis 1990) ; inefficacité chronique des politiques publiques dans des secteurs clés tels que les infrastructures, l’éducation et la formation, la protection sociale et l’insertion ; dégradation de l’attractivité de notre pays et de la compétitivité des entreprises ; creusement des inégalités entre les citoyens et les territoires ; déficit démocratique du fait de l’opacité des structures et de l’entrecroisement des compétences et des financements.
La réforme doit prendre acte de l’échec d’une décentralisation anarchique tout en évitant la tentation de la recentralisation, tant il est vrai que, si l’on ne gouverne bien que de loin, on n’administre bien que de près. Elle devra aussi surmonter le déficit de confiance qui résulte des errements et des manœuvres de François Hollande. Une nouvelle fois, l’incohérence et l’improvisation règnent en maîtresses au sommet de l’État. Après avoir fait miroiter lors de sa campagne « une nouvelle étape de la décentralisation », le président de la République a fait voter par sa majorité la disparition du conseiller territorial siégeant dans les départements et les régions, puis le rétablissement de la clause de compétence générale des collectivités par la loi du 27 janvier 2014, avant de s’opposer résolument à la suppression des départements, en Corrèze, le 18 janvier 2014, pour conclure le 6 mai : « Je pense que les conseils généraux ont vécu. » Nul doute par ailleurs qu’il cherche à éviter une nouvelle humiliation électorale au Parti socialiste lors des élections régionales prévues en 2015.
Il reste que la réforme territoriale est fondamentale. Elle ne doit donc pas être combattue pour des motifs politiciens, comme le fait l’UMP avec l’exigence d’un référendum qui la tuerait dans l’œuf, mais elle doit être remise sur les bons rails, ce qui suppose de respecter certains principes cardinaux.
La réforme doit déboucher sur une organisation efficace et non sur des demi-mesures ou sur un retour en arrière, à l’image de la ruineuse contre-réforme des retraites. Elle doit aller au bout de la suppression des départements et exclure toute création d’une nouvelle instance. Elle doit définir de manière limitative les compétences des collectivités et dégager rapidement des économies importantes. Elle doit être articulée à un réexamen d’envergure des politiques conduites dans l’éducation, les transports ou la protection sociale.
Trois conséquences en résultent. Au plan juridique, une révision constitutionnelle est indispensable pour éviter le risque d’une loi a minima ou la construction d’une nouvelle usine à gaz avec la survie du département sous la forme d’une instance représentative des intercommunalités qui ajouterait des coûts au lieu de générer des économies ; dès lors que le référendum est exclu, il faut passer par le Congrès et réunir une majorité de trois cinquièmes des parlementaires. Au plan financier, il convient, à l’image des réformes conduites en Allemagne, de conclure un pacte de stabilité entre l’État et les collectivités locales qui planifie les réductions de dépenses et d’effectifs (15 % au moins des 360 000 agents départementaux d’ici à 2020) et interdise l’augmentation des impôts locaux. Au plan politique, il faut privilégier la recherche d’un accord entre la majorité et l’opposition intégrant un report limité dans le temps des élections régionales. La réforme territoriale pourrait alors s’affirmer comme un levier décisif non seulement pour la réforme de l’État, mais aussi pour la rénovation d’un système politique archaïque, qui dépasserait les blocages pour élaborer les compromis indispensables au redressement de la France.
(Chronique parue dans Le Point du 22 mai 2014)