Pour relancer l’investissement, la France doit réhabiliter cette valeur qu’elle méprise.
Dans le droit-fil des prophéties de Larry Summers, François Hollande a annoncé redouter une longue stagnation pour l’Europe. Ces peurs malthusiennes sur la croissance au XXIe siècle n’ont aucun fondement. Il est bien vrai que la population mondiale va se stabiliser et vieillir. Mais cela n’implique en rien le blocage du développement, qui restera porté par la demande des nouvelles classes moyennes du Sud et des seniors, par la révolution des technologies de l’information, par la conversion à une économie plus respectueuse de l’environnement.
La stagnation centenaire relève donc du mythe, à deux exceptions près. La première est celle du Japon, dont la croissance depuis 1990 reste bloquée à 0,3 %. La seconde est celle de la France. Les deux vecteurs de cette longue stagnation sont l’effondrement de la production et l’envolée des dépenses publiques, qui culminent à 57,1 % du PIB.
À l’origine de la débâcle de la France, on trouve la destruction du travail mais aussi du capital. La taxation extravagante du travail, qui subit un taux de prélèvement de 61 % (soit 16 % de plus qu’en Allemagne, 27 % de plus qu’en Espagne et 77 % de plus qu’au Royaume-Uni), constitue la première raison de la chute de l’emploi et de la montée du chômage, qui touche 6 millions de personnes (catégories A, B et C, y compris l’outre-mer). Moins apparente mais tout aussi dévastatrice est la fiscalité confiscatoire sur l’épargne et le capital qui a ruiné l’investissement des entreprises et des ménages.
Le capital n’est pas le père de la rente, mais le nerf de l’innovation et la clé d’un développement soutenable ; il est un facteur de production décisif, car il fournit le levier qui permet d’élever la croissance en incorporant dans la production le progrès technique et les modernisations de toute nature, y compris sociales. Il ne peut donc y avoir de reprise sans mobilisation massive du capital, comme le montrent les Etats-Unis. Or ce mouvement n’a été rendu possible que par un formidable effort d’investissement adossé à la remontée du taux d’épargne des ménages, à la restructuration du système bancaire et au dynamisme de Wall Street, qui entre dans sa sixième année de hausse. Sous le déversement temporaire des liquidités par les banques centrales, tous les Etats rivalisent donc pour attirer cette ressource rare et stratégique qu’est le capital.
La France compte normalement au nombre de ses atouts un fort taux d’épargne et surtout un énorme stock de capital matériel et immatériel accumulé au cours de l’Histoire. Mais, depuis deux décennies, elle a entrepris de l’aliéner ou de le détruire pour préserver un modèle social insoutenable. Alors qu’en 2006 chaque Français était encore créditeur net de 400 euros vis-à-vis du monde extérieur, il est aujourd’hui débiteur de près de 10 000 euros. Le capital et l’investissement productif diminuent depuis vingt ans (- 5 % en 2013 et – 3 % en 2014), faisant désormais de l’appareil de production français l’un des plus obsolètes du monde développé. Il en va de même de l’effort de recherche et d’innovation. Et ce parce que la profitabilité des entreprises françaises, avec un taux de marge de 27 %, est à un plus bas historique, inférieure de 40 et 50 % à celle de leurs concurrentes allemandes et britanniques. Voilà pourquoi les 150 premiers groupes réalisent tout leur développement hors de France où ils gèrent 35 000 filiales, génèrent 1 000 milliards d’euros de chiffres d’affaires et emploient plus de 4 millions de personnes. Dans le même temps, les investissements directs étrangers en France sont en recul de 77 %.
L’euthanasie de l’investissement en France a trois raisons majeures :
- La mise en place depuis 2010 d’une fiscalité confiscatoire sur l’épargne qui cumule l’imposition intégrale à l’impôt sur le revenu jusqu’au taux de 45 %, la soumission à la CSG et à toutes les contributions sociales, le poids de l’ISF, auxquels s’ajoutent les impôts locaux comme la taxe foncière et les droits de succession. D’un côté, l’Etat oriente l’épargne vers les usages non productifs avec les ultimes avantages fiscaux attachés à l’épargne réglementée – tel le livret A. De l’autre, les taux confiscatoires bloquent toute prise de risque et provoquent un exil légal massif des capitaux, à l’image de l’ISF, qui, au cours des vingt dernières années, a fait partir plus de 360 milliards d’euros de capital productif.
- Les banques françaises ont fait l’objet d’une répression réglementaire et fiscale aberrante qui a provoqué un effondrement du crédit pour les ménages modestes et les PME.
- La place de Paris a reçu le coup de grâce avec les projets de taxe sur les transactions financières et montre une parfaite atonie qui contraste avec le dynamisme retrouvé de Wall Street, de la City ou de Francfort.
La France ne cassera la trappe de la croissance zéro que si elle parvient à générer de nouveau des gains de productivité. Ils passent par la mobilisation du travail, mais aussi par un formidable effort d’investissement qui impose de libérer le capital. La Caisse des dépôts et la Banque publique pour l’investissement sont des instruments utiles comme leviers aidant à la mobilisation du capital privé. Il est en revanche aberrant de les ériger en substituts du mécanisme de marché pour financer l’investissement productif ou l’immobilier.
Au lieu de multiplier les mesures démagogiques en concentrant sans cesse l’impôt sur le revenu sur une plus faible partie de la population qui travaille, il est bien plus urgent et utile pour la croissance de restaurer une fiscalité efficace de l’épargne : en supprimant l’ISF, qui constitue une machine à faire fuir les capitaux, les entrepreneurs et les entreprises ; en normalisant les taux, pour éviter des prélèvements confiscatoires ; en privilégiant l’épargne longue orientée vers les entreprises. La répression financière aveugle et permanente du secteur bancaire doit cesser pour donner la priorité à leur recapitalisation et à leur restructuration. Enfin, la place financière de Paris doit être relancée pour redevenir une alternative crédible à Francfort et Zurich sur le continent européen pour les investisseurs internationaux. Dans l’économie de la connaissance, le travail et l’innovation sont déterminants pour la croissance. Mais le capital humain et le capital intellectuel restent stériles sans capital, et le capital inerte sans entrepreneurs. Voilà pourquoi la France ne se libérera du carcan de la stagnation qu’en réhabilitant le capital, qui n’est pas l’ennemi mais le meilleur allié du travail.
(Chronique parue dans Le Point du 25 septembre 2014)