Les échecs, les couacs et les mensonges de l’exécutif font le jeu de Marine le Pen.
À mi-mandat d’un quinquennat qui tourne à la débâcle, François Hollande mise sa survie sur le Front national qui constitue son ultime planche de salut. Il ouvre un troisième temps dans le rapport incestueux de la gauche française avec l’extrême droite. Le premier temps, avec François Mitterrand, fut celui du calcul, avec le rétablissement du scrutin proportionnel en 1986 qui fit élire 35 députés d’extrême droite afin de limiter la victoire de l’opposition et de la diviser. Le deuxième temps, avec Lionel Jospin, fut celui du hasard : en 2002, son aveuglement face aux difficultés économiques et à l’insécurité ainsi que sa campagne improbable conduisirent Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. Le troisième temps, avec Hollande, est celui de la nécessité.
En 2014, il existe une communauté de destin entre le président et le FN. L’extrême droite constitue le pivot de sa stratégie tant face aux Français et à son parti que face à l’Europe et à nos partenaires, pris en otage par la menace de faire le jeu de l’extrême droite s’ils sanctionnent la dérive des finances publiques françaises.
La réédition du 21 avril 2002 ne relève plus du risque mais de la certitude. Le FN, presque assuré de sortir en tête du premier tour de la présidentielle, est l’un des rares gagnants du quinquennat de Hollande. Il est devenu un parti national ancré dans tous les milieux et tous les électorats. Il est devenu un parti d’adhésion et non plus de protestation. Il est devenu le parti clé d’un système politique qui n’est plus bipolaire mais tripolaire. Il est toujours extrémiste mais il est devenu un parti de gouvernement. Il s’est imposé comme le premier parti de France à l’occasion des européennes. Il est vrai que le déclin de la France trouve son origine au début des années 1980. L’effondrement de l’Union soviétique a fait basculer la révolution à droite. La déflation déclenchée par la crise mondiale puis celle des dettes souveraines ont déstabilisé les classes moyennes. Les dysfonctionnements de l’Union européenne et de la zone euro ont alimenté les populismes. Mais la France est la seule des grandes démocraties où l’extrême droite est en situation d’accéder à la tête de l’État. Elle le doit à Hollande, qui a fait sa fortune.
L’échec de la politique économique conduite depuis 2012 constitue le plus terrible sinistre depuis la déflation Laval de 1935. Le choc fiscal et social de 70 milliards d’euros a cassé la production et l’investissement, provoqué une baisse durable du niveau de vie, fait exploser le chômage et la dette publique qui atteindra 100 % du PIB en 2015. La Commission européenne a souligné à raison que la dégradation va se poursuivre d’ici à 2017. La ruine des classes moyennes, frappées d’une quadruple peine à travers l’amputation de leurs revenus et la confiscation de leur épargne, la mise sous condition de ressources de la protection sociale, le blocage de la mobilité, la généralisation du chômage, entraîne leur basculement massif vers le FN. La décomposition de l’État, aussi brutal avec les citoyens responsables que faible face aux violents, qui démultiplie les risques en organisant la disparition de l’ordre public, la déliquescence de la justice, la dérive de l’éducation où la transmission du savoir est exclue au profit d’une entreprise extravagante de formation d’un Homme nouveau. La perversion des institutions de la Ve République qui sont utilisées pour protéger le chef de l’État de son impopularité au lieu d’être mises au service du redressement national. La négation de la République dont la devise «Liberté, égalité, fraternité» est dévoyée en « clientélisme, fiscalité, communauté », vidant de son sens la citoyenneté. L’institutionnalisation du mensonge et l’écart permanent entre les mots et les actes qui privent de légitimité la parole publique et l’action politique. L’abaissement de la France et la perte de souveraineté sans précédent depuis le régime de Vichy, qui font de notre pays un objet de compassion, de rire et de mépris partout dans le monde, et qui nourrissent le sentiment d’humiliation nationale.
Le seul résultat tangible du quinquennat de Hollande demeure d’avoir porté Marine Le Pen aux portes du pouvoir. Or le lepénisme n’est rien d’autre que le prolongement logique du hollandisme, c’est-à-dire le déclin et le désespoir avec la sortie de l’euro et la mise au ban par les démocraties en plus. Voilà pourquoi les républicains doivent se dresser contre l’axe des cyniques et des démagogues formé par Hollande et Marine Le Pen. Voilà pourquoi, à l’aube des années décisives qui vont décider de l’implosion ou du redressement de la France, les Français n’ont plus droit à l’erreur: ils doivent refuser les mirages réactionnaires, le retour à l’économie administrée et à la société fermée pour s’adapter au monde du XXIe siècle dans lequel ils disposent de tous les atouts pour réussir ; ils doivent faire le choix des réformes contre la révolution ; ils doivent refuser la fuite dans la violence ou l’exil pour s’engager dans la reconstruction d’une nation moderne et compétitive.
(Chronique parue dans Le Point du 11 novembre 2014)