Pour faire face au terrorisme et lutter contre l’islamisme, l’État va devoir engager plusieurs chantiers, dans le respect de la démocratie.
La mobilisation en réaction à la série d’attentats contre Charlie Hebdo, les forces de police et la communauté juive n’a pas de précédent. La France doit se montrer à la hauteur de l’événement. Après le temps du sang, le temps des larmes, le temps de l’émotion s’ouvre le temps de l’action. La levée en masse contre la barbarie était indispensable, mais elle ne fait pas une politique. Le grand écart entre les mots et les actes n’est plus admissible au moment où se décide l’avenir de la nation. Il a ruiné notre économie ; il peut défaire notre pays et détruire nos libertés. Aussi est-il vital que l’esprit de responsabilité des dirigeants et la mobilisation des citoyens ne se perdent pas et soient mis au service de décisions rapides et effectives. L’ennemi n’est pas l’islam, l’ennemi est l’islamisme La première condition consiste à rompre avec le déni pour faire la vérité sur la situation.
La France est en guerre, elle ne fait que commencer et comptera d’autres tragédies ; elle prendra la forme d’un long affrontement qui ne sera tranché que par l’éradication de ses extrémistes par le monde musulman. L’ennemi n’est pas l’islam. L’ennemi n’est pas le terrorisme, qui constitue un moyen d’action. L’ennemi est l’islamisme, idéologie politique qui entend établir sa dictature par le djihad et par une mystique de la terreur. La menace est mondialisée et multiforme. L’islam, comme foi religieuse, doit être protégé au nom de la liberté de pensée. L’islamisme doit être combattu avec une fermeté qui a tragiquement manqué au cours des dernières décennies. Ses combattants, loin d’être des marginaux ou des déséquilibrés, sont des soldats endoctrinés et entraînés, qui s’inscrivent au croisement de la délinquance, des activités criminelles et du fanatisme religieux. Le deuxième principe exige que cette guerre soit conduite sans haine et dans le respect des valeurs de la démocratie. Tocqueville rappelait à juste titre qu’« il n’y a pas de grande guerre qui, dans un pays démocratique, ne mette en grand danger la liberté ». La France doit écarter le piège dans lequel sont tombés les États-Unis après le 11 septembre 2001. Elle ne doit pas céder à la facilité de la guerre contre un pseudo-axe du mal. Elle doit refuser un Guantánamo ou un Patriot Act à la française, qui autoriserait les forces de police à effectuer des perquisitions, des saisies, des interceptions et des collectes de données hors de tout contrôle judiciaire.
Pour autant, il faut traiter d’urgence les failles béantes dans le système antiterroriste : faible coordination des services au plan national et européen, défaut du renseignement, retard dans la surveillance d’Internet et des réseaux sociaux, indigence de la vidéosurveillance à Paris ; absence de fichier des passagers aériens en Europe. Il faut surtout s’attaquer à la paralysie de la justice et de la politique pénitentiaire, en déshérence totale depuis que le refus de la prison a été érigé en principe, livrant les établissements à des extrémistes qui les ont transformés en madrasas. La réhabilitation de l’école
Le troisième axe est financier. Aujourd’hui, les fonctions régaliennes de l’État – sécurité, défense, justice – ne disposent plus des moyens humains, matériels et financiers de remplir leurs missions. Le retard accumulé dans les domaines du renseignement ou de la cybernétique commence tout juste à être comblé. Avec 9 000 hommes engagés dans des opérations extérieures et 10 500 sur le territoire national – alors que l’armée de terre a été réduite à 80 000 hommes -, nos forces militaires atteignent leurs limites opérationnelles. Elles ne sont plus financées puisque le report de charges s’élève à 3,7 milliards d’euros et que les 6 milliards de recettes exceptionnelles programmées entre 2015 et 2017 restent introuvables. L’actualisation de la loi de programmation prévue en 2015 doit donc être l’occasion d’interrompre la diminution des effectifs et de financer de manière pérenne la sécurité nationale. Pour prévenir la guerre civile, il est impératif de réinvestir une partie des 670 milliards d’euros de transferts sociaux dans la réhabilitation de l’État régalien et la modernisation des forces de défense et de sécurité. Le quatrième chantier est économique et social.
Les trajectoires de Khaled Kelkal, de Mohammed Merah ou des frères Kouachi présentent des points communs : échec scolaire, chômage et exclusion, délinquance, radicalisation et passage à l’acte. Chacune de ces étapes doit être traitée. Les politiques de traitement social qui multiplient les aides pour occulter la montée de l’analphabétisme, du chômage et des ghettos ont fait long feu. L’école doit être réhabilitée comme lieu de transmission du savoir et des valeurs au lieu d’être détournée en centre de loisirs et prise en otage par les communautarismes devant lesquels elle a démissionné. Le chômage peut et doit être combattu par la libéralisation du marché du travail, qui a fait ses preuves partout ailleurs. Le fanatisme, le communautarisme, l’exclusion scolaire, le chômage structurel ne sont pas des fatalités ; ils sont le résultat de politiques absurdes. La France a une occasion unique de se ressaisir. La cinquième clarification doit porter sur la politique étrangère, qui doit être repensée en fonction de la priorité donnée à la guerre contre l’islamisme. Cela implique, au plan européen, une action déterminée pour une politique de défense et de sécurité beaucoup plus active pour assurer la protection des populations, des frontières et des infrastructures essentielles comme pour réguler l’immigration. Cela suppose une grande fermeté vis-à-vis des États qui financent les extrémistes, tels l’Arabie saoudite, le Qatar ou la Turquie de Recep Tayyip Erdogan à travers son soutien aux Frères musulmans. Cela invite à une coopération active avec les pays qui luttent effectivement contre les groupes radicaux, à l’image de l’Égypte et du Maroc, et par la reprise d’un dialogue stratégique avec la Russie. Sous le choc des attentats, portée par la mobilisation de ses citoyens, la France a une occasion unique de se ressaisir. Les Français détiennent entre leurs mains la solution à la crise existentielle qui mine notre pays. L’union nationale doit être prolongée pour lutter contre l’islamisme, mais aussi pour mettre en œuvre les réformes économiques et sociales. Les attentats qui ont frappé notre pays comme le mouvement de solidarité mondiale qu’ils ont suscité rappellent à la France ce dont elle est le nom : la liberté. C’est en renonçant à la liberté et à sa dimension universelle que la France s’est défaite. C’est en renouant avec la liberté que les Français pourront vaincre l’islamisme et reprendre pied dans l’histoire universelle du XXIe siècle.
Chronique parue dans Le Point du 15 janvier 2015)