Depuis les années 80, les papes font l’histoire. François s’est imposé comme le pape de la mondialisation et comme celui du peuple.
Depuis les années 80, les papes ne se contentent plus d’être des témoins spirituels, ils font l’Histoire. Jean-Paul II reste comme le pape de la liberté : son célèbre « N’ayez pas peur » contribua de manière décisive à la chute du communisme. François s’est imposé comme le pape de la mondialisation et comme celui du peuple. Le pontificat de François s’ordonne autour de trois priorités : la réforme de l’Église ; le changement du capitalisme ; la fin de la guerre de religion mondiale promue par les djihadistes.
François a soumis l’Église à une thérapie de choc pour surmonter ses blocages. Sa première cible a été la curie : encadrement de la secrétairerie d’Etat par un conseil de 9 cardinaux, un conseil pour les affaires économiques et le synode des évêques ; restructuration de l’Institut pour les œuvres de religion – la banque du Vatican –, placé sous les régulations européennes ; modification du recrutement des cardinaux au profit de pasteurs de terrain venant des continents émergents.
La seconde cible est l’Église elle-même, que le pape a entrepris de remettre au service des pauvres et de la compassion. D’un côté, tolérance zéro dans les affaires de pédophilie des prêtres. De l’autre, réexamen de l’attitude vis-à-vis des divorcés remariés et de l’homosexualité. Avec une méthode bien précise : ne pas toucher à la doctrine, mais transformer l’esprit en privilégiant l’ouverture et la bienveillance. La mission de l’Église selon François ne consiste pas à exclure mais à accueillir : « Ne pas se scandaliser et toujours pardonner. »
La réforme de l’Église n’est pas un but en soi. Elle doit servir la liberté et la dignité des hommes. Face aux risques du XXIe siècle, le pape François ne se contente pas de parler, il s’engage. Il dénonce les excès du capitalisme, les ravages de l’avidité et le caractère inacceptable des inégalités, pour affirmer le droit de chacun aux « trois T : un toit, une terre, un travail ».
C’est à l’idolâtrie de l’argent, qui se trouve au cœur des dérives du capitalisme et de la finance, que s’attaque François. Avec une vigueur peu commune, puisqu’il a qualifié en Bolivie l’avidité sans limite de « fumier du diable ». Le pape ne condamne pas seulement les injustices, l’exclusion ou les atteintes à l’environnement, il ne se limite pas à dénoncer toute les formes d’esclavage et à réaffirmer la dignité des hommes, notamment des migrants, qui ne peuvent en aucune circonstance être réduits à des choses, il milite pour des transformations radicales du système économique. Avec pour objectif une mondialisation inclusive qui réconcilie l’économie et le social, la croissance et l’écologie. Avec pour méthode non la révolution, mais un processus de changement qui parte des périphéries pour gagner le centre.
Dans le domaine économique comme pour la conception de la famille, François n’innove pas sur un plan doctrinal. Sa critique du capitalisme et son plaidoyer pour un développement durable ne cèdent nullement aux illusions du marxisme, du malthusianisme ou du populisme, dont il a constaté les ravages dans l’Argentine de Nestor et Cristina Kirchner. Sa théologie du peuple – et non de la libération – s’inscrit dans le droit fil de la doctrine sociale de l’Eglise, qui accepte l’économie de marché mais la soumet aux principes de respect de la personne humaine, du primat du bien commun et de l’exigence de solidarité. De même, la défense de la liberté religieuse est indissociable du message de paix et de tolérance, qui s’est traduit par la prière pour les victimes tragiques du pèlerinage de La Mecque. L’appel à une coalition des croyants contre la violence de l’État islamique répond aux critères de la guerre juste. Il va de pair avec le refus de la terreur, d’où qu’elle vienne : « Imiter la haine et la violence des tyrans et des meurtriers est la meilleure façon de prendre leur place », a-t-il martelé devant le Congrès des États-Unis.
Le charisme et la force du message de François lui donnent un poids spirituel qui refuse de légitimer toute forme de guerre religieuse ou culturelle. Et un poids politique adossé à l’opinion mondiale. Le pape a joué un rôle décisif dans le rétablissement des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba. Il multiplie les ouvertures vers la Chine de Xi Jinping. Il rappelle les Nations unies à leur mission. Il invite les États-Unis à se réinventer autour de quatre propositions : traiter les autres avec compassion ; maintenir la solidarité en temps de crise ; répondre au défi environnemental ; protéger la famille et la jeunesse.
François, comme Jean-Paul II, a su trouver les mots et les gestes pour s’adresser à tous les hommes, au-delà du 1,3 milliard de catholiques. Il comble un double déficit de leadership et de sens. Il prouve qu’il est possible de changer l’Église en renouvelant son esprit, sans toutefois bouleverser les fondements de la foi catholique. Il incarne une idée de la religion placée sous le signe de la liberté et de la tolérance. Il fait vivre l’espoir d’une mondialisation au service de tous les hommes, au-delà des conflits entre les nations et les religions. En cela, François est bien le premier pape de l’histoire universelle.
(Chronique parue dans Le Point du 08 octobre 2015)