Après les attentats de vendredi à Paris, la France doit faire la guerre sans haine mais la faire vraiment et se mettre en situation de la soutenir dans la durée.
Pour la deuxième fois en cette terrible année 2015, Paris a été frappée, le 13 novembre, par avec près de 130 morts et plus de 350 blessés . La France et les valeurs de la République, laïcité en tête, sont plus que jamais visées. Mais les cibles et le mode opératoire des terroristes ont changé. Ce ne sont plus les institutions – via les policiers -, la liberté d’expression – via la rédaction de Charlie Hebdo – et la communauté juive – via l’Hyper Cacher – qui furent leur point de mire, mais le citoyen et le touriste ordinaires à travers le Stade de France, le Bataclan, les cafés et les restaurants du canal Saint-Martin et du quartier Oberkampf. Par ailleurs, le recours à des attaques simultanées, et coordonnées depuis l’étranger, de kamikazes munis de ceintures d’explosifs est sans précédent en France. Au total, l’État islamique a réussi sa démonstration de force, en montrant sa capacité à frapper des lieux très sécurisés, à l’image du Stade de France lors d’un match international en présence du chef de l’État, comme une salle de concert où se produisait un groupe de rock américain revenant d’Israël. Et ce le jour même de l’annonce du plan gouvernemental de lutte contre le trafic d’armes et de la fermeture des frontières dans la perspective de la COP21.
Les objectifs poursuivis par l’EI sont clairs. Tout d’abord, terroriser les Français et encourager le développement d’un climat de guerre civile dans notre pays. Ensuite, casser la fragile reprise de notre économie en effondrant l’activité touristique à quelques semaines de Noël. Enfin, compromettre la capacité de la France à organiser de grands événements sportifs ou diplomatiques, à l’image de la COP21, de l’Euro 2016 ou des Jeux olympiques de 2024.
Cesattentats confirment que la France se trouve en première ligne dans ce cycle de nouvelles guerres de religion. Elle se trouve en effet engagée sur un double front extérieur, au Sahel et au Moyen-Orient, et intérieur, avec l’emprise croissante de l’islamisme sur une partie de la jeunesse et l’engagement de plus de 2 000 de ses citoyens dans les rangs de l’État islamique. Elle cumule l’hostilité des radicaux sunnites et chiites. Elle cristallise la haine de l’État islamique comme d’al-Qaida, en raison de ses principes constitutionnels et législatifs, de ses positions diplomatiques et de ses engagements militaires.
La France se trouve donc engagée dans une guerre à mort avec l’islamisme, y compris sur son propre territoire. Et cette guerre s’inscrit dans une durée longue. Mais elle n’en a nullement tiré les conséquences.
La France acquitte aujourd’hui au prix fort ses contradictions. Contradiction sémantique avec l’incapacité de désigner l’ennemi par son nom, l’État islamique, par peur de s’aliéner la communauté musulmane. Contradiction opérationnelle avec la paralysie des services jusqu’aux attentats du 7 janvier, le retard de trois ans de la loi sur le renseignement, la divergence du renseignement extérieur et intérieur, alors que la menace est globale. Contradiction politique avec le désarmement judiciaire et l’impunité pénale assurée à la petite délinquance, alors qu’elle est devenue le terreau privilégié pour le recrutement des terroristes. Contradiction diplomatique et stratégique avec la politique syrienne qui a donné une priorité absolue au départ de Bachar el-Assad au lieu de privilégier la lutte contre l’État islamique.
La France doit faire la guerre sans haine mais la faire vraiment et se mettre en situation de la soutenir dans la durée. Ceci implique de ne pas effectuer les mêmes erreurs que les États-Unis après le 11 septembre 2001, en évitant les amalgames entre islamistes et musulmans, terroristes et migrants, ainsi qu’en refusant la logique d’un Patriot Act à la française qui sacrifierait l’État de droit au nom de la sécurité. Mais cela exige une remise en cohérence urgente de nos politiques.
Sur le front intérieur, nous devons réinvestir à la fois dans l’État régalien et dans l’intégration. Nos forces de sécurité et de défense sont surexposées et au bord de l’épuisement. Elles manquent des compétences et des matériels nécessaires pour faire face à des individus très déterminés, mobiles, armés et bien entraînés. Il est impératif de créer un état-major spécialisé dans la guerre contre l’islamisme sur le territoire national, de réarticuler la police et la justice, de mieux coordonner le renseignement intérieur et extérieur, de recréer des renseignements généraux affectés à la surveillance de l’islamisme. Il faut par ailleurs accélérer le redressement de l’effort financier dans la sécurité et la défense à hauteur de 3 à 5 milliards par an, en privilégiant le renseignement, les forces spéciales et la cyberdéfense. Parallèlement, le système éducatif et le marché du travail doivent enfin être réformés pour mettre fin à la politique de l’illettrisme, du chômage et de la pauvreté pour tous.
Sur le front extérieur, une priorité absolue doit être donnée à l’éradication de l’islamisme radical. Notre diplomatie doit être clarifiée et rompre avec sa fixation obsessionnelle sur Bachar el-Assad, comme hier sur Kadhafi, pour être remise au service de nos intérêts vitaux. Notre isolement doit cesser vis-à-vis de nos partenaires européens et de nos alliés comme au Moyen-Orient. Notre stratégie doit abandonner les interventions périphériques comme en Centrafrique pour être recentrée sur la protection du territoire national et des Français d’une part, le démantèlement de l’État islamique d’autre part.
L’unité nationale s’impose, mais elle ne peut consister à valider et reconduire ce qui a échoué. Elle n’a de sens que si elle nous permet de ne pas attendre d’avoir été battus pour modifier notre stratégie.
(Chronique parue dans Le Figaro du 15 novembre 2015)