Les migrants sont devenus une arme. Une arme entre les mains de l’État islamique, qui a concentré 800.000 candidats à la traversée de la Méditerranée en Libye et dont les djihadistes infiltrent les groupes de réfugiés.
Loin de s’apaiser, la crise des migrants s’emballe. En 2015, l’Europe a été confrontée à la plus importante vague migratoire depuis 1945, avec 1,3 million de réfugiés dont 1,1 million ont convergé vers l’Allemagne. Les murs qui ont coupé la route des Balkans n’ont pas empêché 250 000 personnes d’arriver par mer depuis le début de l’année 2016. Et ce en dépit des risques puisque plus de 10 000 migrants, dont un tiers d’enfants, ont péri noyés en Méditerranée depuis 2014.
Les migrants sont devenus une arme. Une arme entre les mains de l’État islamique, qui a concentré 800 000 candidats à la traversée de la Méditerranée en Libye et dont les djihadistes infiltrent les groupes de réfugiés. Une arme entre les mains de Recep Erdogan, qui, fort de l’accueil de 3,1 millions de déplacés, soumet l’Europe à un chantage financier et politique, ou de Vladimir Poutine, qui organise une route de l’Arctique. Une arme de division de l’Union, qui se trouve partagée par un mur politique et moral entre l’Est et l’Ouest. Une arme entre les mains des populistes, comme le montrent la campagne en faveur du Brexit ou la multiplication des murs à l’intérieur du continent européen. Le migrant symbolise toutes les peurs sur lesquelles jouent les extrémistes : le déclassement issu de la baisse des salaires et du chômage, la perte des valeurs et la dissolution des identités face à la poussée de l’islam, la montée du risque terroriste, la dissolution de la souveraineté nationale.
La crise des migrants est structurelle. Sa première cause est économique, liée à la faiblesse du développement dans les sociétés à forte croissance démographique de l’Afrique et du Moyen-Orient. Sa seconde raison est géopolitique, découlant du djihad, du chaos consécutif aux interventions occidentales en Irak et en Libye et de l’échec des révolutions du monde arabo-musulman. La pression migratoire ne peut que progresser entre, d’une part, des pays vieillissants, riches, ouverts et désarmés et, d’autre part, des populations jeunes, pauvres, désespérées et surarmées.
L’Union a pour l’heure totalement failli face au défi des migrants. Quatre moments se sont ainsi succédé. Le déni face à l’implosion de la périphérie de l’Europe et la délégation de la gestion de la crise aux pays d’arrivée, Italie et Grèce, qui se sont sentis d’autant plus légitimes pour faciliter le transit des migrants vers le cœur du continent. L’accueil inconditionnel offert unilatéralement par Angela Merkel en août 2015 qui a déclenché un formidable appel d’air. L’impuissance face à la vague migratoire et à l’échec de sa répartition par pays selon des quotas. La panique à la suite du retournement des opinions provoqué par les attentats de Paris puis les agressions du Nouvel An en Allemagne, ce qui a conduit à l’édification des murs pour couper la route des Balkans puis à la soumission de l’Europe face à la Turquie, actée par l’accord du 18 mars. En échange de sa coopération pour le retour des migrants, Recep Erdogan, en pleine dérive autocratique et radicalisation religieuse, obtient 6 milliards d’euros, la levée des visas et la relance des négociations pour l’entrée dans l’Union.
Il est urgent que l’Europe se dote d’une capacité effective en matière de sécurité, même si la réponse ne peut être uniquement sécuritaire. Six priorités émergent :
- La reprise du contrôle des frontières extérieures de l’Union, ce qui passe par le déploiement de forces navales en mers Égée et Méditerranée et la modification de leurs règles d’engagement pour détruire les filières du trafic et reconduire les réfugiés.
- L’unification du droit de l’immigration et de l’asile – sous le contrôle d’un office européen des réfugiés, avec pour pendant la reconduction effective des clandestins et des déboutés.
- Une aide massive aux pays d’accueil, Turquie mais aussi Liban, Jordanie et Égypte.
- La création d’un partenariat pour le développement de l’Afrique qui conditionne les aides au développement à l’acceptation du retour des migrants par leurs pays d’origine.
- Un vaste effort d’intégration via l’éducation, le logement et la flexibilité du marché du travail.
- Le lancement d’une Union pour la défense et la sécurité qui constitue la condition de la survie de l’Europe et de la pérennité de l’alliance avec les États-Unis, face à la remontée des risques stratégiques venant de l’islam radical comme du réveil des empires.
La crise des migrants comme le débat autour du Brexit montrent la nécessité de redéfinir le projet européen. Les citoyens et les peuples rappellent que l’existence d’un ordre public et la sécurité sont les conditions premières de la liberté. Cette demande est légitime et doit être entendue. L’Europe du XXe siècle s’est construite autour du droit et du marché. L’Europe du XXIe siècle se réinventera autour de sa sécurité ou se défera.
(Chronique parue dans Le Figaro du 20 juin 2016)