Brexit, sécurité, fiscalité, jeunesse… L’Union doit apporter des solutions concrètes.
Soixante ans après la signature du traité de Rome, l’Europe se trouve dans une situation critique. Longtemps, elle s’est faite par et avec les crises ; elle risque aujourd’hui de se défaire sous la multiplication des chocs.
La zone euro a résisté au Grexit et au Brexit, mais reste enfermée dans la croissance molle et le chômage de masse. Le grand marché est en panne. La plus importante vague de migrants depuis 1945 a provoqué l’implosion de l’espace Schengen. L’Union est tétanisée face aux démocratures russe et turque. C’est cependant de l’intérieur de l’Union que viennent les menaces les plus sérieuses pour sa pérennité. Le Brexit a fait voler en éclats le dogme de l’irréversibilité de l’intégration du continent. L’Union est profondément divisée entre le nord et le sud autour des principes de gestion de l’euro, entre l’est et l’ouest autour des migrants, entre les pays méditerranéens qui donnent la priorité à la lutte contre le terrorisme et ceux de l’est et du nord qui privilégient la résistance à l’impérialisme russe. Les principes sur lesquels l’Europe s’est construite sont caducs : l’Union soviétique a disparu ; la garantie de sécurité américaine est devenue conditionnelle et aléatoire ; le couple franco-allemand s’est décomposé.
L’Europe doit se relancer ou se décomposer. Elle doit apporter des réponses concrètes en matière de prospérité, d’emploi, de sécurité, tout en définissant des objectifs et un calendrier clairs pour le Brexit. Et ce sur fond d’un cycle électoral particulièrement périlleux puisque d’ici à l’automne 2017 s’enchaîneront le référendum italien transformé en plébiscite pour ou contre Matteo Renzi, la troisième élection espagnole, la réédition du second tour de la présidentielle autrichienne, les législatives aux Pays-Bas, la présidentielle et les législatives en France puis les législatives allemandes. La relance de l’Union est ainsi prise en otage par les enjeux de politique intérieure, qui interdisent l’émergence de compromis. Le groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie) s’est saisi de la crise des migrants pour appeler à une « révolution culturelle » des États contre les institutions communautaires. Les gouvernements de gauche d’Europe du Sud se sont réunis à Athènes pour dénoncer l’austérité. Le plan annoncé par Jean-Claude Juncker se réduit à une succession de mesures utiles mais sans ambition véritable : doublement du plan d’investissement de 315 à 630 milliards d’euros, généralisation des réseaux 5G, création d’un corps de solidarité de 100 000 jeunes. Le sommet de Bratislava s’est logiquement conclu par des demi-mesures technocratiques et par une nouvelle débandade qui a provoqué la colère de Matteo Renzi, fustigeant une approche « sans âme et sans horizon ».
La tentation du statu quo dans l’attente du dénouement du cycle électoral est délétère. Les dirigeants européens devraient comprendre que la relance de l’Europe leur fournit un puissant levier de reconquête électorale. L’heure est à délivrer des résultats. Et ce dans quatre domaines majeurs.
- Le premier exige une feuille de route précise pour le Brexit, ainsi que l’abandon des négociations en vue de l’adhésion de la Turquie au profit d’un partenariat privilégié. L’objectif consiste à articuler trois cercles : le cœur de la zone euro avec une intégration renforcée ; les membres de l’Union hors euro ; les partenariats stratégiques avec le Royaume-Uni ou la Turquie.
- La deuxième urgence concerne le lancement d’une Union pour la sécurité avec pour missions la lutte contre le terrorisme et surtout la reprise du contrôle des frontières extérieures. Elle est indissociable de l’harmonisation du droit de l’immigration et de l’asile, de la transformation de Frontex en une police des frontières à part entière, de la définition d’une stratégie globale vis-à-vis de la périphérie, et notamment de l’Afrique.
- La troisième priorité concerne la zone euro. Les États doivent s’engager, à défaut d’harmonisation, dans une convergence fiscale et sociale fondée sur la variation limitée autour d’une norme centrale, à l’image de ce que fut le serpent monétaire.
- Le dernier impératif concerne la jeunesse européenne, à laquelle il faut proposer soit un emploi, soit une formation.
Il ne fait aucun doute que l’Allemagne, leader par défaut d’un continent à la dérive, et la France, qui en est l’homme malade, ont une responsabilité majeure et dans le naufrage de l’Europe et dans sa refondation potentielle. Dans sa déclaration du 9 mai 1950, Robert Schuman affirmait que « l’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble ; elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait ». L’Europe s’est perdue à force d’abstractions et de juridisme. Relançons-la !
(Chronique parue dans Le Point du 22 septembre 2016)