La crise des réfugiés est structurelle et durable.
L’assemblée générale de l’Onu a placé la question des réfugiés au cœur de ses débats, tout en tentant vainement d’imposer un cessez-le-feu en Syrie. Elle témoigne à la fois d’une prise de conscience de la communauté internationale et de l’impuissance des Etats à répondre à l’accélération des migrations comme à remédier à leurs causes. La planète compte 65 millions de personnes déplacées –dont 21 millions de réfugiés– contre 10 millions en 1985. Les pays développés n’accueillent que 5 millions de migrants, mais leur nombre augmente de 10 % par an. L’Europe a par ailleurs subi en 2015 un choc sans précédent depuis 1945 avec l’arrivée de 1,3 million de personnes, dont la plupart ont convergé vers l’Allemagne. Le mouvement se poursuit en 2016, même si la fermeture de la route des Balkans a entraîné son déplacement autour de la Méditerranée. Plus de 300 000 migrants ont réussi à traverser depuis le début de l’année, malgré la multiplication des naufrages, notamment vers l’Italie, qui a enregistré plus de 130 000 arrivées.
Le flux n’a aucune raison de se tarir. En effet, depuis le coup d’Etat manqué du 15 juillet, Recep Tayyip Erdogan a allégé le contrôle des côtes de la mer Egée, ce qui a immédiatement porté les arrivées en Grèce à 1 000 par jour. Plus de 800 000 candidats à la traversée se trouvent par ailleurs massés en Libye. Surtout, les causes profondes des migrations ne cessent de s’aggraver. L’écart se creuse entre les populations vieillissantes, riches et libres du Nord et les populations jeunes, pauvres, opprimées du Sud. La violence s’emballe, notamment au Moyen-Orient, où le conflit en Syrie reste sans solution. Enfin, la multiplication des événements climatiques extrêmes condamne certaines populations à quitter des régions devenues invivables.
La crise des réfugiés est donc structurelle et durable. Or elle fonctionne comme une arme de destruction massive contre l’Europe et la démocratie. L’Union menace de se désintégrer sous l’onde de choc des migrants. Le chaos qu’elle provoque a joué un rôle majeur dans le vote des Britanniques en faveur du Brexit et exacerbe les tensions entre l’est et l’ouest du continent. Les frontières se hérissent de murs qui ont de facto mis fin à l’espace Schengen. Le couple franco-allemand se déchire. Simultanément, la grande peur des classes moyennes, qui cumulent sentiment de déclassement et anxiété devant les menaces sécuritaires intérieures et extérieures, se trouve redoublée par l’impuissance des politiques, provoquant une montée des populismes et de l’extrême droite sans précédent depuis les années 1930. Témoin l’Allemagne, où la poussée de l’AfD déstabilise Angela Merkel.
Il est donc urgent, si l’on veut préserver la liberté et l’Europe, d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie globale face à la crise des migrants. Elle doit obéir à six principes :
- L’immigration est indispensable pour un continent vieillissant et le droit d’asile est indissociable des libertés fondamentales. Mais l’immigration doit être strictement contrôlée et le droit d’asile redéfini par rapport à la Convention de 1951, conçue à l’époque pour accueillir les transfuges du bloc de l’Est. La contrepartie de l’immigration légale et du droit d’asile consiste dans l’éloignement effectif et définitif des clandestins et des déboutés du droit d’asile.
- Il n’existe pas d’alternative à la reprise du contrôle des frontières extérieures de l’Union et à l’identification de ceux qu’elle accueille, vitale pour la lutte contre le terrorisme. Dans le cadre d’une Union pour la sécurité, la priorité doit donc être donnée à la transformation de Frontex en une véritable police des frontières et à la mise en place d’une identification biométrique pour tout étranger entrant dans l’Union – cela allant de pair avec l’interconnexion des fichiers européens et nationaux. Une attention particulière doit être apportée à la Méditerranée avec le déploiement d’un système intégré de surveillance par des moyens électroniques, satellitaires, radars et maritimes.
- L’Union doit apporter un soutien financier massif aux pays d’accueil des réfugiés, qu’il s’agisse de l’Italie et de la Grèce en son sein ou de la Turquie, de la Jordanie et du Liban, qui se trouvent en première ligne face à l’afflux des réfugiés syriens.
- Les réfugiés qui répondent aux critères du droit d’asile ne doivent pas être parqués dans des camps mais intégrés, ce qui passe par l’éducation. L’insertion fonctionne mais elle demande du temps, puisqu’il faut en moyenne vingt ans pour observer des taux d’emploi égaux à ceux des pays d’accueil. La priorité absolue est l’apprentissage de la langue, pour les enfants comme pour les adultes. Un contrat d’intégration doit être conclu, et sanctionné par l’éloignement en cas de non-respect.
- L’Union devrait créer un haut-commissariat pour superviser l’identification, l’accueil et le suivi des réfugiés, y compris autour des zones de conflit. Il disposerait d’un fonds de solidarité, à l’image de celui de la zone euro, destiné à financer les investissements prioritaires dans l’identification biométrique, l’intégration et le soutien aux pays d’accueil.
- La crise des réfugiés est la conséquence de désordres profonds qui doivent être gérés et non pas subis. L’Union doit investir dans le développement de l’Afrique et la stabilisation du Moyen-Orient, en soutenant par tous les moyens les Etats fragiles, en prévenant les guerres civiles, notamment en Tunisie, et en aidant à la reconstruction des pays effondrés comme la Libye.
La crise des migrants constitue un test décisif pour l’Europe comme pour les valeurs et les institutions des nations qui la composent. Une course de vitesse à haut risque est engagée entre la démocratie d’une part, les populismes, les démocratures et l’islamisme d’autre part, qui utilisent les migrations comme une arme. Pour ne pas la perdre, il est essentiel de rappeler que la sécurité n’est pas l’ennemie de la liberté, mais qu’elle en constitue la première condition. L’Europe s’est construite depuis les années 1950 autour du droit et du marché ; elle doit se réinventer au XXIe siècle autour de la sécurité et de la stabilité.
(Chronique parue dans Le Point du 29 septembre 2016)