Notre pays a régulièrement choisi des orientations contraires à celles de la plupart des autres grandes démocraties. Parfois pour le meilleur. Souvent pour le pire.
Depuis la Révolution, la France fait exception en Europe et dans le monde développé par le cours heurté de son histoire, qui voit alterner des phases d’essor et de déclin économique tout comme des périodes de stabilité puis de violence politique. Notre pays a ainsi régulièrement choisi des orientations contraires à celles de la plupart des autres grandes démocraties, dans les moments de crise du capitalisme ou de bouleversement du système géopolitique. Parfois pour le meilleur. Souvent pour le pire.
Au plan économique, la France signa en 1860 un traité de libre-échange avec le Royaume-Uni tandis que les États-Unis et l’Allemagne de Bismarck, à partir de 1870, fondaient leur développement industriel sur le protectionnisme. Les lois Méline de 1892 et 1897 établirent un protectionnisme strict au moment où débutait un cycle de croissance porté par la deuxième révolution industrielle et l’expansion du commerce international avec le développement des pays neufs, de l’Australie à l’Argentine en passant par la Russie. Dans les années 1930, le refus de la dévaluation et la stratégie du bloc-or, en pleine guerre commerciale et monétaire, aggravèrent la déflation et ruinèrent la production française qui, seule des grands pays développés, était inférieure en 1939 à son niveau de 1929.
Plus récemment, la France a continué à se différencier en accumulant les erreurs économiques. En 1974, elle fit supporter aux entreprises tout le poids du choc pétrolier, cassant les profits et l’investissement. En 1981, elle se lança dans une politique de relance keynésienne, de nationalisations, de diminution de l’âge de la retraite et de la durée du travail au beau milieu de la récession et alors que s’amorçait un cycle de désinflation et de libéralisation des économies développées. À partir de 1997, elle appliqua de manière rigide les 35 heures, dégradant sa compétitivité au moment du passage à la monnaie unique qui supprimait le recours à la dévaluation et à l’inflation pour reporter tous les ajustements sur l’économie réelle. Depuis 2000, l’économie de bulle puis la politique monétaire expansionniste de la Banque centrale européenne destinée à enrayer les risques de déflation et d’éclatement de la zone euro furent mises au service non pas de la modernisation de l’offre mais de l’envolée des transferts sociaux financés par la dette publique.
Au plan géopolitique, la France tranche également. À la fin du XIXe siècle, elle balança entre la revanche contre l’Allemagne et l’expansion de son empire colonial. En 1918, elle laissa se creuser la distance avec les États-Unis et le Royaume-Uni autour du traité de Versailles et des réparations allemandes. Durant les années 1930, sa stratégie fut écartelée entre la ligne Maginot et la garantie de sécurité illusoire apportée à la Pologne et à la Tchécoslovaquie. Après 1945, elle s’engagea dans les guerres d’Indochine et d’Algérie alors que les empires européens se désintégraient puis dans l’expédition de Suez au mépris du nouveau rapport de force établi par les superpuissances. En 1989, elle soutint l’URSS agonisante de Gorbatchev contre la Russie d’Eltsine et s’opposa vainement à la réunification de l’Allemagne et du continent européen. Au moment où le capitalisme devenait universel, elle refusa la mondialisation et ignora l’émergence des nouvelles puissances du Sud.
Aujourd’hui, l’histoire accélère de nouveau. Le basculement des États-Unis vers le protectionnisme ouvre un cycle de démondialisation, tandis que les taux d’intérêt, après trente-cinq ans de baisse, amorcent une remontée qui accompagne la renaissance de l’inflation. Le Royaume-Uni ferme ses frontières et réhabilite la dévaluation compétitive, la dépense publique et l’intervention de l’État. Avec l’épuisement des politiques monétaires, les stratégies de relance budgétaire opèrent un retour en force, y compris dans des pays en plein-emploi où elles sont inutiles et dangereuses. L’Amérique, en plein repli isolationniste, participe à la désoccidentalisation du monde et laisse le champ libre à la Chine qui entend la supplanter comme puissance globale.
La débâcle inouïe du quinquennat de François Hollande, actée par sa décision inédite de ne pas se représenter, pourrait paradoxalement avoir la vertu de convaincre les Français d’engager les transformations radicales nécessaires au redressement de notre pays. Au moment où les démocraties connaissent un inquiétant trou d’air, la France est en situation de donner un coup d’arrêt à la contagion du populisme en résistant au Front national. La présidentielle de 2017 comporte donc une dimension historique. Dans le tourbillon de l’histoire, la France s’inscrirait de nouveau à contre-courant. Mais pour renouer avec le progrès et défendre la liberté.
(Chronique parue dans Le Point du 05 décembre 2016)