Une nouvelle donne émerge. Les Européens doivent réinvestir massivement dans leur sécurité, face au repli américain et à la dérive du Royaume-Uni.
L’année 2016 a tragiquement confirmé l’ampleur des risques qui pèsent sur la sécurité de l’Europe. Après la France et la Belgique, l’Allemagne a été frappée par l’État islamique à Berlin, sur le marché de Noël jouxtant la Gedächtniskirche, qui témoigne des horreurs du nazisme et du refus de la violence. La Russie de Vladimir Poutine annonce un réarmement nucléaire au moment où elle renforce sa pression sur l’Europe – de l’intervention en Ukraine à l’élection de présidents prorusses en Bulgarie et en Moldavie – et où elle s’impose au Moyen-Orient autour de la guerre de Syrie, qu’elle met à profit pour construire un axe avec l’Iran et la Turquie. Les cyberattaques se multiplient, à l’image du piratage des sites du Parti démocrate par la Russie qui a joué sur le résultat de l’élection présidentielle américaine. La violence se propage et gagne de nouveaux espaces en se libérant de tout cadre ou de toute limite, à l’image de la destruction d’Alep ou de la bataille de Mossoul, qui mêle la sophistication des technologies et le combat de rue.
Or, dans le même temps, les démocraties se trouvent affaiblies par une vague populiste sans précédent depuis les années 1930. L’élection de Donald Trump, placée sous le signe du nationalisme, du protectionnisme et de l’isolationnisme, déstabilise les alliances stratégiques des États-Unis, Otan en tête, et enterre la République impériale qui réassurait en dernier recours le capitalisme et le système mondial. Simultanément, le Brexit menace de provoquer l’éclatement de l’Union européenne. Au total, l’ordre géopolitique issu de la Seconde Guerre mondiale s’effondre, sur fond de division des nations libres et de désintégration de l’Occident.
Au seuil d’une nouvelle année décisive qui verra des élections majeures se dérouler aux Pays-Bas, en France, en Allemagne et sans doute en Italie, la sécurité a changé de statut. Elle est, aux côtés de la croissance et de l’emploi, la première préoccupation des citoyens. Elle détermine la résilience des sociétés libres face aux menaces stratégiques comme aux populismes. Elle conditionne la restauration de la confiance dans les valeurs et les institutions démocratiques.
Ainsi, une nouvelle donne émerge qui ne laisse d’autre choix aux Européens que de réinvestir massivement dans leur sécurité, face au repli américain et à la dérive du Royaume-Uni qui sera accaparé pendant plus d’une décennie par le contresens historique du Brexit.
Force est de constater que la France et l’Europe n’ont nullement tiré les leçons des tragédies qui les ont frappées. Notre pays ne dispose toujours pas d’une stratégie globale, d’une organisation et de moyens adaptés pour lutter contre le terrorisme, notamment sur le territoire national. De nouveaux drames comme ceux de Charlie Hebdo, du Bataclan ou de Nice sont prévisibles, compte tenu des lacunes persistantes de la coordination entre services de renseignement comme entre les forces d’intervention. Dans le même temps, le décalage entre le surengagement des armées, dont 34 000 hommes sont déployés en opération, et leur budget (32,7 milliards d’euros en 2017) n’a cessé de s’aggraver. La réédition d’une opération comme « Serval » au Mali serait aujourd’hui impossible, compte tenu de l’effondrement de l’entraînement lié à l’opération « Sentinelle », de l’usure et du manque de disponibilité des matériels, de la pénurie de munitions.
De même, l’itinéraire criminel en Europe d’Anis Amri, avant comme après l’attentat de Berlin, illustre l’indigence du suivi des migrants et des demandeurs d’asile, l’inefficacité des mesures d’éloignement (168 000 personnes restent en attente d’expulsion en Allemagne), les failles des services de renseignement, la faiblesse de la répression des trafics d’armes et de papiers d’identité, la perméabilité des frontières.
L’année 2017 doit donc être pour la France et l’Europe celle du passage de la prise de conscience aux actes. La restauration de la sécurité doit être mise au cœur des débats électoraux, afin que les citoyens puissent donner un mandat clair pour en faire une priorité absolue. Pour cela, il faut débattre des objectifs avant d’aborder la question des moyens. En conservant à l’esprit que seule peut être efficace une stratégie globale qui ne se limite ni aux seuls aspects sécuritaires, ni à la dimension nationale.
La France doit ainsi évoluer vers une stratégie de long terme et une logique réellement interministérielle en créant un Conseil national de sécurité auprès du président de la République. Le ministère de l’intérieur, principal maillon faible, doit intégrer la culture de l’anticipation, de la planification et de la coordination des opérations en se reconfigurant autour d’un centre de commandement des opérations sur le territoire national. Enfin, un effort financier significatif doit être soutenu pour porter à 3 % du PIB – dont 2 % pour les armées, soit 42 milliards d’euros – les budgets de la sécurité intérieure et de la défense. Tout en veillant à ce que la remontée en puissance ne sacrifie par les équipements aux effectifs. À sa manière l’Allemagne a montré l’exemple en portant son budget de défense à 37 milliards d’euros pour 2017.
La réponse de l’Europe à l’effondrement du système de sécurité du continent ne peut se limiter à la création, par ailleurs souhaitable, d’un fonds européen pour la défense. Après le Brexit, il est indispensable de relancer l’intégration du continent autour d’une Union pour la sécurité dont les missions principales porteraient sur la lutte contre le terrorisme, la protection des infrastructures essentielles et le contrôle des frontières extérieures de l’Union avec pour pivot la transformation de Frontex en une véritable police européenne des frontières.
Churchill rappelait qu’« il faut prendre l’événement par la main avant qu’il ne vous saisisse à la gorge ». Depuis 2014, l’Europe n’a cessé d’être saisie à la gorge ; en 2017 elle doit, forte de la responsabilité de ses citoyens, reprendre la main face aux risques du XXIe siècle.
(Chronique parue dans Le Figaro du 02 janvier 2017)