Compte tenu de la situation critique du pays, la maxime de Pierre Mendès France, « gouverner, c’est choisir », n’a jamais été plus actuelle.
« Il y a un cycle mystérieux dans les événements humains. À certaines générations, il est beaucoup donné. À d’autres, au contraire, il est beaucoup demandé. Cette génération a rendez-vous avec la destinée », soulignait Franklin Roosevelt en 1936 dans son discours à la Convention démocrate de Philadelphie. Aujourd’hui, en France, ce sont Emmanuel Macron et la nouvelle génération qu’il incarne qui ont rendez-vous avec la destinée. Il leur revient de relever la France, ruinée par une succession de dirigeants irresponsables depuis les années 1980. Il leur revient d’impulser la refondation de l’Europe.
Or la victoire de Macron ne supprime pas le « risque France », pas plus que la nette défaite de Marine Le Pen ne met fin au populisme. Il ne suffit pas de battre les extrémistes dans les urnes ; il faut supprimer les maux économiques, sociaux, culturels et politiques qui composent le terreau sur lequel ils prospèrent et qui alimentent leur démagogie.
Rien ne serait plus dangereux que de s’en remettre, comme par le passé, à l’amélioration de la conjoncture économique. La zone euro connaît une réelle embellie, marquée par une croissance de 1,8 %, une baisse du chômage, ramené à 8 % de la population active, un large excédent extérieur et un déficit public limité à 1,5 % du PIB. Cette reprise est solide et bien répartie, bénéficiant à l’Europe du Sud – y compris la Grèce, qui sort de récession. La hausse de la croissance et des profits, associée à la réduction du risque politique, crée ainsi un environnement idéal pour le retour des capitaux internationaux sur le continent.
Pour autant, la France demeure à la traîne. L’industrie rebondit, mais la croissance plafonne en dessous de 1,5 % par an. Le chômage ne diminue pas et touche 6,6 millions de Français. Le déficit extérieur se creuse à 56 milliards d’euros en rythme annuel, contre 48 milliards en 2016. Le déficit ne parvient pas à passer en dessous de la barre de 3 % du PIB. La dette publique, qui culmine à 2 160 milliards d’euros, fait l’objet de ventes massives des investisseurs asiatiques et ne doit qu’aux achats de la BCE de ne pas voir s’envoler sa prime de risque. Il est surtout vain de s’en remettre aux fluctuations de la conjoncture pour régler des problèmes structurels. Aucune reprise, même forte et durable, ne peut assurer la soutenabilité du modèle français, qui juxtapose 1 % de la population mondiale, 3,5 % de la production et 15 % des transferts sociaux de la planète.
Nul ne doit sous-estimer l’ampleur de la catastrophe économique et financière qu’aurait entraînée la sortie de la France de la zone euro, qui composait le cœur du programme de Marine Le Pen. Sa défaite est d’autant plus salutaire qu’elle a souligné l’incohérence de ses propositions tout comme son incapacité à assumer la présidence – ce qu’illustre également le chaos de la présidence Trump.
Venant après les échecs de Norbert Hofer en Autriche et de Geert Wilders aux Pays-Bas, la résistance de l’Europe à la poussée populiste est réconfortante. Mais elle est aussi fragile. Les voix hostiles à l’économie de marché et à l’Europe ont rassemblé en France 55 % des suffrages lors du premier tour de l’élection présidentielle ; au second tour, 60 % des ouvriers, 51 % des chômeurs et 40 % des salariés du secteur privé ont voté pour Marine Le Pen et 57 % des voix qui se sont portées sur Macron l’ont fait par défaut, pour s’opposer au FN. En Europe, si les élections allemandes de l’automne sont dominées par les partis de gouvernement, Beppe Grillo demeure une menace majeure en Italie lors des législatives qui se dérouleront en février 2018.
Macron ne pourra en aucune façon laisser du temps au temps. Ses cent premiers jours seront décisifs. La maxime de Pierre Mendès France, « gouverner, c’est choisir », n’a jamais été plus actuelle. Choisir d’agir ou d’être aimé. Choisir de réformer ou de prolonger le déclin. Choisir la société civile qui a fait le succès d’En marche ! ou céder aux corporatismes du secteur public. Compte tenu de la situation critique du pays et de l’héritage laissé par François Hollande, le président jouera sa crédibilité sur sa capacité à engager la transformation du modèle français avant la fin 2017 autour de cinq priorités. La flexisécurité du marché du travail. La diminution de la fiscalité sur les entreprises et sur l’épargne, indispensable pour reconstituer une base productive. La maîtrise des dépenses publiques. La réorientation du bateau ivre de l’Éducation nationale. La redéfinition de la stratégie de sécurité. Emmanuel Macron a montré un talent exceptionnel pour saisir et mettre à profit le moment décisif dans sa conquête du pouvoir. Il doit faire preuve de la même virtuosité dans l’exercice du pouvoir.
(Chronique parue dans Le Figaro du 14 mai 2017)