L’obsolescence de notre modèle social constitue l’une des explications majeures du décrochage économique et social de la France.
Un modèle social est composé d’un marché du travail, d’un système de protection sociale et d’un cadre de négociation collective. Le modèle français, hérité des Trente Glorieuses, repose sur l’hyper-réglementation du travail, l’inflation des transferts sociaux qui culminent à 34 % du PIB, la centralisation et l’étatisation des relations sociales. Depuis les réformes de l’Europe du Sud, il reste le seul parmi les pays développés à ne pas avoir été adapté aux transformations économiques et technologiques qui se sont succédé depuis la fin de l’ère keynésienne.
L’obsolescence de notre modèle social constitue l’une des explications majeures du décrochage économique et social de la France, qui cumule la faiblesse de la croissance, une désindustrialisation accélérée, le double déficit chronique du commerce extérieur et des finances publiques – avec pour conséquence un envol de la dette de 20 à 98,9 % du PIB depuis 1980. Elle porte surtout la responsabilité première du chômage de masse qui touche 6,6 millions de nos concitoyens ainsi que de la segmentation du marché du travail qui génère inégalités et exclusion, paupérisation et déclassement, contribuant directement à la montée des populismes.
La France constitue de ce point de vue une exception. Les réformes effectuées dans les autres pays développés ont permis le retour au plein-emploi dans les principaux d’entre eux, à l’image des États-Unis (taux de chômage réduit à 4,3 %), de l’Allemagne (4,2 %) et du Royaume-Uni (4,5 %) ainsi que la reprise des créations d’emplois dans les pays les plus touchés par le krach de 2008 puis la crise de l’euro : l’Espagne a ainsi généré 1,5 million de postes de travail en trois ans et l’Italie 700 000 en deux ans.
Les cinq ordonnances qui portent 36 mesures réformant le Code du travail marquent une rupture en modernisant enfin le système français des relations du travail au lieu de se contenter d’ajustements marginaux et inefficaces comme par le passé. L’ordre public conventionnel est clarifié entre les domaines de la loi, de la branche et de l’entreprise. La création d’un contrat de chantier apporte de la flexibilité. Le télétravail est facilité. Les primes seront discutées et fixées dans les entreprises. Le relèvement et le barème des indemnités prud’homales ainsi que la création d’une rupture conventionnelle collective sécurisent les conditions du licenciement pour les employeurs comme pour les salariés. La négociation directe dans les entreprises de moins de 20 salariés, la fusion des instances de représentation du personnel dans celles de plus de 50 salariés, le recours aux référendums et aux accords d’entreprise replacent le dialogue social au plus près de la production.
La méthode innove également. À l’inverse de l’interminable psychodrame de la loi El Khomri ou des coupes budgétaires effectuées sans évaluation ni concertation préalables, la réforme du droit du travail conjugue l’efficacité et la rapidité – grâce au recours aux ordonnances – et le dialogue pour élaborer des compromis avec les partenaires sociaux – ce qui cantonne les oppositions aux forces syndicales et aux partis extrémistes.
Tout n’est certes pas réglé. Mais une dynamique est lancée qui engage la réforme du modèle français en transformant le Code du chômage en Code de l’emploi. L’émergence d’un nouveau contrat social appelle d’autres changements majeurs. Au plan national dans les règles de gestion de la fonction publique, la politique de formation, l’assurance-chômage ou les régimes de retraite. Au plan européen via la convergence et la portabilité des droits sociaux. La normalisation de la fiscalité des entreprises et du capital ainsi que la maîtrise des dépenses de l’État-providence demeurent par ailleurs cruciales pour restaurer la compétitivité des entreprises, dont les impôts et les charges représentent 18 % du PIB contre 9 % en Allemagne.
Au plan politique, la modernisation du modèle français est conditionnée par le désarmement des oppositions et par la pédagogie de la loi travail auprès des citoyens qui, pour l’heure, lui restent majoritairement hostiles. Il ne suffit pas de résister à la démagogie des populistes, il faut convaincre les Français tant des nouvelles opportunités offertes par le projet aux salariés et aux syndicats que de ses retombées positives pour l’emploi et pour l’économie française.
La réforme du marché du travail constitue donc le laboratoire du redressement de la France. Le chômage de masse est en effet le moteur de la désintégration de l’appareil de production, de la société et de la nation. Les échecs passés ont acté l’incapacité chronique du système et de la classe politiques à moderniser notre pays pour le mettre au diapason du XXIe siècle. La réussite de la loi travail qui transforme en profondeur le système social doit désormais témoigner de la capacité de la France à faire des réformes, à les négocier et à les faire soutenir par les citoyens, restaurant ainsi sa crédibilité auprès des entrepreneurs, des investisseurs et de nos partenaires européens.
(Chronique parue dans Le Figaro du 04 septembre 2017)