En concentrant le pouvoir, Emmanuel Macron met en péril l’élan de confiance qu’il avait su créer.
Emmanuel Macron a fait triompher la jeunesse, le centre et l’Europe au sein du système politique le plus sclérosé et de la société la plus pessimiste du monde démocratique, ouvrant l’espoir d’un redressement de la France et de la relance de l’Union. Pour réussir, il dispose de trois atouts. L’amélioration de la situation économique en France, avec une croissance de 1,8 % et la création de 255 000 emplois en un an, comme dans la zone euro (croissance de 2,2 %, chômage ramené à 9,3 %). La réduction du risque politique en Europe, contrastant avec le Brexit et l’élection de Donald Trump. Le basculement des Français vers la confiance et le renversement de l’image de notre pays à l’étranger.
Ces trois atouts, cependant, se réduisent. La reprise de notre économie est menacée par la remontée progressive du pétrole, celle des taux est amorcée tandis que l’euro s’est apprécié de 15 % face au dollar. Le risque politique renaît avec l’entrée de l’AfD au Bundestag et le référendum catalan. Enfin, des doutes se font jour sur le leadership d’Emmanuel Macron. L’excellente réforme du marché du travail contraste avec les errements budgétaires. L’activisme diplomatique n’a débouché sur aucune réalisation concrète. Des failles majeures sont apparues dans la gestion des crises à l’occasion du passage de l’ouragan Irma puis des attentats islamistes. La tragédie de Marseille a ainsi été jalonnée de dysfonctionnements administratifs et politiques avec le déni initial d’une attaque djihadiste.
Les difficultés rencontrées ne doivent rien au hasard. Elles découlent des erreurs commises par Emmanuel Macron, qui l’ont coupé de parties décisives de l’opinion et de la société, à l’image des élus locaux, mettant en péril les réformes comme le montre l’opposition croissante aux ordonnances sur le travail. Erreur dans l’exercice du pouvoir qui impose d’effectuer et de faire la pédagogie de choix tranchés, alors que la conquête du pouvoir se prête à la philosophie ambiguë du « en même temps ». Erreur dans l’esprit et la pratique des institutions : l’extrême concentration des décisions à l’Elysée, sans précédent depuis 1958, va de pair avec le vide de pouvoir à Matignon, au Parlement réduit à un théâtre d’ombres, au sein de LREM, corps partisan immense et creux dont la seule raison d’être est le culte voué à la personne du président. Erreur dans le choix des hommes, où le monopole des technocrates nie la diversité de la société française et méprise la connaissance. Erreur dans la méthode avec l’autoritarisme, l’improvisation et l’absence de cohérence qui dominent en dehors du champ social et de l’éducation. Erreur de style avec la surexposition et la multiplication des déclarations à l’emporte-pièce qui discréditent la fonction présidentielle : entre Jupiter et les brèves de comptoir, il faut choisir ! Et dans un pays comme la France prompt à s’enflammer, le conseil de prudence du cardinal de Retz reste de mise : « Pour un homme d’État, il convient moins encore de dire des bêtises que d’en faire. »
La France ne peut s’offrir le luxe d’un échec d’Emmanuel Macron qui ouvrirait en grand la voie aux populistes. Il est temps pour lui de se mettre au diapason de l’esprit de responsabilité dont ont fait preuve les citoyens d’opinions très diverses qui lui ont donné une large majorité au second tour de la présidentielle comme à l’Assemblée.
La condition du redressement reste la réconciliation des Français et la mobilisation de la France périphérique, qu’il faut convaincre plutôt que mépriser. La modernisation du pays, contrairement à l’aventure présidentielle, ne peut être le fait d’un homme seul. Le retour à l’esprit original de la Ve République, régime taillé pour affronter les crises selon un principe d’organisation militaire, implique d’articuler sans les confondre les niveaux stratégique – le président de la République –, opératif – le Premier ministre qui dirige la majorité et l’administration – et tactique – les ministres et leurs services. Le renouvellement de la classe politique passe par la mobilisation des talents au-delà de Bercy, dont la responsabilité est du reste lourdement engagée dans le décrochage de la France comme dans l’euthanasie de l’État régalien. Enfin, il est impératif de renforcer la capacité de gestion des crises.
Machiavel, dans « Le Prince », souligne qu’« il n’est point d’entreprise plus difficile à conduire, plus incertaine quant à son succès et plus dangereuse que celle d’introduire de nouvelles institutions. Celui qui s’y engage a pour ennemis tous ceux qui profitaient des institutions anciennes et il ne trouve que de tièdes défenseurs dans ceux pour qui les nouvelles seraient utiles ». Le meilleur plaidoyer en faveur des réformes, ce sont les résultats. Les résultats dépendent de la confiance. La confiance, en France, s’enracine dans le bon fonctionnement des institutions et dans la capacité du président de la République à mobiliser tous les Français : ceux qui sont acquis aux réformes et ceux qui en ont peur alors qu’ils en sont les premiers bénéficiaires.
(Chronique parue dans Le Point du 12 octobre 2017)