La France revient dans le jeu, mais sa capitale peine à concurrencer les grandes métropoles mondiales. L’État doit reprendre les choses en main.
Au moment où la France joue sa dernière carte pour se redresser, Paris tire notre pays vers le bas. Or, si le pays n’est plus un désert hors de sa capitale, Paris et sa région, qui concentrent 12,4 millions d’habitants et 30 % du PIB, demeurent son vaisseau amiral. Et ce vaisseau est naufragé. La démographie reste le meilleur baromètre de l’attractivité. Or Paris perd 7 500 habitants par an, une érosion qui tranche avec les grandes métropoles mondiales dont la population explose, à l’image du Grand Londres passé de 6,6 à plus de 14 millions d’habitants depuis 1980. Et ce, en raison de l’envol du coût de la vie – notamment du prix du mètre carré qui atteint 9 300 euros -, qui va de pair avec la dégradation de sa qualité.
La production économique stagne depuis les années 1990 et le taux de chômage s’élève à 7,4 % des actifs, performance meilleure que celle de la France, mais loin du plein-emploi qui règne dans la plupart des grandes villes du monde développé. Si le tourisme reprend après la chute liée aux attentats de 2015, les investissements étrangers tardent à revenir et Paris est devancé par Francfort et par Dublin dans la relocalisation des institutions financières de la City due au Brexit. En outre, notre capitale ne figure plus parmi les villes-mondes qui écrivent l’histoire universelle. Paris souffre en effet d’un quadruple problème d’insécurité, de saleté, de thrombose et de pollution qui rend la vie de ses habitants plus difficile et qui mine son attractivité. La délinquance et l’insalubrité sont aujourd’hui telles que des habitants du 18e arrondissement ont obtenu la condamnation de la ville pour manquement à ses obligations.
L’urbanisme se polarise et juxtapose des quartiers de riches et de pauvres, éliminant les classes moyennes et les familles. Depuis les années 1980, les cadres ont progressé de 25 à 46 % de la population quand les ouvriers reculaient de 18 à 7 %, tandis que se multiplient, du 15e au 20e arrondissement, des ghettos qui échappent à toute autorité publique. En guise de mobilité douce, l’organisation méthodique de la saturation du trafic automobile, alors que l’offre de transports en commun est insuffisante, se traduit par une augmentation inédite des embouteillages qui bloquent en amont la région, par l’étirement de 54 % des temps de transport le matin et de 36 % le soir, et surtout par la hausse de plus de 10 % de la pollution et du bruit le long de la Seine et sur les itinéraires de report des voies sur berge. Si les dysfonctionnements de l’État entrent en ligne de compte, notamment dans l’obsolescence du système de transports de la région parisienne, la responsabilité de la ville est première dans l’asphyxie de Paris :
- Erreur économique avec le choix du tout start-up, qui encourage la formation d’une bulle spéculative et évince les autres activités.
- Erreur urbanistique avec la surdensification et l’investissement forcené – à hauteur de plus de 3 milliards d’euros – dans le logement social qui représente déjà 22 % du parc et dont l’expansion accélère la hausse des prix de l’immobilier en réduisant le marché privé par la préemption de nombreux immeubles.
- Erreur environnementale avec le choix de la thrombose et de la désintégration de la voirie qui augmentent la pollution et le bruit ou encore de l’abandon du patrimoine et des espaces verts.
- Erreur sur le cadre de vie avec le déni de l’insécurité – qui se traduit par l’absence de recours à la vidéosurveillance et par la forte hausse des délais d’intervention des services de police et de secours – et d’une saleté qui touche désormais à l’insalubrité – conséquence de la baisse de 18 % du budget consacré à la propreté.
- Erreurs juridiques en chaîne avec les désastres de Vélib’ ou d’Autolib’, la sanction du marché de l’affichage ou l’annulation par le tribunal administratif de la délibération du 26 septembre 2016 du Conseil de Paris fermant les voies sur berge de la rive droite en raison de l’absence d’étude d’impact sérieuse. Erreur financière avec l’envol de la dette de 2,3 à 7,5 milliards d’euros entre 2008 et 2020.
- Erreur stratégique, enfin, avec la coupure de Paris du reste de l’Île-de-France. Il n’est pas possible de sauver la France sans sauver Paris.
Voilà pourquoi l’État doit reprendre en main le Grand Paris. En faisant enfin respecter l’État de droit. En exerçant les compétences qui sont les siennes, notamment dans le domaine de la circulation et de la sécurité. En faisant sauter la barrière du périphérique. En refusant de sacrifier les enjeux de long terme de la métropole à l’organisation des Jeux olympiques de 2024. En révisant le projet du Grand Paris dont la dérive des coûts de 19 à 35 milliards pourrait être contenue par le recours partiel à des infrastructures de surface. En clarifiant et simplifiant l’invraisemblable millefeuille administratif qui empile la ville de Paris, la métropole, Île-de-France Mobilités, la Société du Grand Paris, les départements et la région Île-de-France, en plus de la préfecture de police et de celle de région. La politique de l’urbanisme, des transports et de l’environnement doit être définie et conduite à l’échelle de la région ; l’éducation, les services sociaux, les loisirs et la propreté relèvent de la proximité. Le baron Haussmann a enrichi Paris en construisant la ville du XXe siècle. Il revient à Emmanuel Macron de faire entrer le Grand Paris dans le XXIe siècle.
(Chronique parue dans Le Point du 06 mars 2018)