Loin des illusions entretenues autour de la fin de l’histoire, les menaces stratégiques sont de retour.
La démocratie est confrontée à sa crise la plus grave depuis les années 1930. Loin des illusions entretenues autour de la fin de l’histoire, les menaces stratégiques sont de retour. Pour autant, le premier péril reste la décomposition intérieure des nations libres, prises sous le feu croisé de l’individualisme, de la corruption de l’information et de la contagion de la violence.
La France n’est pas épargnée qui accumule les fractures sociales, statutaires, générationnelles et territoriales et demeure impuissante devant la salafisation d’une partie de la population comme devant la résurgence de l’antisémitisme, que confirme l’ignoble assassinat de Mireille Knoll.
Après l’effondrement de l’économie de bulles, nous assistons au krach de la démocratie sous le choc du populisme : Brexit et élection de Donald Trump ; percée de l’extrême droite en Allemagne et en Autriche ; sécessionnisme catalan ; alliance à très haut risque du M5S et de la Lega en Italie ; conversion des pays du groupe de Visegrad à la démocratie illibérale. Le populisme prend sa source dans la déstabilisation des classes moyennes du fait de la mondialisation et de la révolution numérique, dans la polarisation des individus et des territoires, dans le repli identitaire face aux vagues migratoires, dans la prise de conscience des menaces intérieures et extérieures sur la sécurité, dans la révolte contre la trahison des élites et l’impuissance des dirigeants.
Pour autant, nous ne devons pas désespérer de la démocratie, ce qui constituerait la meilleure manière d’assurer la victoire de ses ennemis.
Les succès momentanés du djihadisme et des démocratures ne peuvent masquer leurs impasses à long terme. L’islam politique se réduit à une culture de la pauvreté, de l’oppression et de la mort, à l’opposé d’un projet de civilisation. La théocratie iranienne a utilisé les errements des États-Unis pour constituer un empire chiite mais bute sur les coûts de sa surexpansion militaire qui sont de moins en moins acceptés par sa population. La stratégie de la Chine de contester le leadership économique et technologique des États-Unis est incompatible avec le refus de l’État de droit et des libertés qui fait du rêve collectif chinois un cauchemar individuel. L’impérialisme de la Russie est promis à l’échec par son suicide démographique, par la stagnation de son économie qui ne représente que le quinzième de celle des États-Unis, par une corruption endémique, par son enlisement dans la guerre sans fin de Syrie. Sous prétexte de réorientation vers la Russie, le monde arabe ou l’Afrique, la Turquie ne va ni vers l’est ni vers l’ouest mais vers un trou noir.
La démocratie n’a donc pas encore perdu. Mais elle ne dispose d’aucune garantie de vaincre, comme ce fut le cas au XXe siècle. Émergent huit priorités, dont l’Europe du Nord, qui allie compétitivité économique, cohésion sociale, vitalité démocratique et renforcement de la sécurité, montre qu’elles n’ont rien d’utopique.
Faire la vérité sur la situation et sur les erreurs politiques et intellectuelles accumulées depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Investir massivement dans l’éducation et la formation tout au long de la vie. Évoluer vers un modèle de croissance durable et inclusive. Saisir les chances de la révolution numérique tout en gérant ses risques en réintégrant ses acteurs dans l’État de droit, dans la fiscalité, la régulation et l’éthique. Restaurer la souveraineté, ce qui passe par la réhabilitation des fonctions régaliennes de l’État. Rénover la démocratie en améliorant sa transparence et la participation des citoyens grâce aux technologies digitales. Repenser l’Europe sous le signe de la protection de ses citoyens, de la souveraineté et de la sécurité. Réaffirmer la communauté de valeur et de destin des nations libres au-delà de la divergence ponctuelle de leurs intérêts.
La violence ne peut être annihilée seulement par la force. Le combat décisif se livre dans la tête et le cœur des citoyens qui doivent retrouver la confiance dans la liberté et la volonté de la défendre. Ce qui suppose d’opposer des émotions positives aux passions mortifères. Marc Bloch, dans L’Étrange Défaite, rappelait qu’« il y a deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération ». Aujourd’hui, de même, ceux qui demeurent insensibles devant le sacrifice du colonel Beltrame se condamnent à rester étrangers à l’histoire de France comme au long et rude combat des hommes pour conquérir leur dignité et leur liberté. Tant qu’il restera des citoyens et des serviteurs de l’État de la trempe d’Arnaud Beltrame, la démocratie ne sera pas défaite et le déclin de l’Occident ne sera pas fatal.
(Chronique parue dans Le Figaro du 02 avril 2018)