Loin de contribuer à la clarification de la ligne politique, la longue « itinérance mémorielle » du président Emmanuel Macron a été placée sous le signe de la confusion.
L’histoire se venge quand la politique tente de l’instrumentaliser. Emmanuel Macron vient d’en faire les frais. Au lendemain d’un remaniement poussif et aux antipodes du nouveau souffle attendu par les Français, l’improbable « itinérance mémorielle » a souligné la distance qui s’est instaurée entre le président et les Français.
Loin de contribuer à l’indispensable clarification de la ligne politique, cette longue errance a été placée sous le signe de la confusion. Confusion sur la politique énergétique dont le principe aberrant se résume à taxer plus pour subventionner plus la consommation de carburant. Confusion sur la défense avec l’hommage rendu à l’armée au moment où son budget se voit affecter la totalité du coût des opérations extérieures, ce qui annihile la loi de programmation militaire votée en juin. Confusion sur l’Europe dénoncée pour son ultra-libéralisme en même temps qu’est appelée la formation d’une introuvable armée européenne. Confusion entre l’histoire et la mémoire à propos du maréchal Pétain qui est certes le vainqueur de Verdun mais qui, du fait de son rôle comme chef de l’État français, a été condamné à l’indignité nationale et ne saurait en conséquence être honoré.
Ce périple a ainsi mis en lumière la solitude d’Emmanuel Macron, qui a perdu les Français en même temps que le fil de son quinquennat. Son projet qui consistait à réformer le modèle français tout en refondant l’Union est devenu illisible.
Des réformes salutaires ont été engagées dans les domaines du marché du travail et de la formation professionnelle, de la fiscalité ou de l’éducation. Elles ont permis de renforcer l’attractivité de la France, de relancer l’investissement et de stimuler l’innovation. Mais elles butent sur les séquelles de plus de trois décennies de destruction de l’appareil productif et sur le caractère structurel du chômage qui continue à toucher 6,6 millions de personnes.
Surtout, la modernisation du pays est menacée par une succession d’erreurs. Erreur de politique économique qui fait peser le poids de la modernisation sur le seul secteur privé en sanctuarisant les dysfonctionnements du secteur public. Emmanuel Macron a décidé plus de 58 milliards d’euros de dépenses publiques nouvelles depuis son élection tout en continuant à sacrifier l’État régalien. D’où l’explosion programmée des taxes sur le carburant qui portera, sur la base d’un prix du baril à 80 dollars, le coût du litre d’essence ou de gasoil au-delà de 2 euros en 2020 et qui ne répond qu’à une logique budgétaire.
Erreurs politiques avec l’absence de réponse à la montée de la violence et de l’insécurité, le refus délétère de définir une stratégie en matière d’islam et d’immigration, l’enfermement dans une posture de dénonciation morale du populisme qui néglige de traiter ses causes. Erreurs stratégiques avec, d’un côté, la surexposition du président qui hystérise et dévalorise le débat public et, de l’autre, le renforcement d’un pouvoir technocratique coupé des Français qui laisse aux extrémistes le monopole de la parole politique.
Une grande illusion s’est installée depuis 2017 qui veut faire croire que la France serait un môle de stabilité et de prospérité au sein d’un monde démocratique en crise. Il n’en est rien.
La transformation de l’« itinérance mémorielle » en chemin de croix constitue un ultime avertissement des Français à leur président qui doit être entendu. Emmanuel Macron dispose encore d’un potentiel de leadership en France et en Europe. Il est servi par l’absence d’alternative politique crédible. Mais il ne peut s’exclure de l’impératif de transformation qu’il exige des citoyens.
Le macronisme est une sphère dont le centre, à savoir Emmanuel Macron, se veut partout et dont la circonférence, à savoir le projet politique, n’est plus nulle part. Le projet doit être adapté à la montée des risques économiques et géopolitiques qui ne permet plus de faire financer les réformes par la croissance mondiale ou par l’Europe. Il doit réintégrer les attentes légitimes des Français en termes de protection, de sécurité et de préservation des principes républicains. L’échec du remaniement prouve que c’est moins le gouvernement que l’Élysée qu’il faut reconfigurer en l’ouvrant à l’expérience et à la politique. Le président doit repenser son rôle en acceptant l’existence d’un gouvernement qui conduit la politique de la nation, d’un Parlement qui légifère, d’élus qui exercent leurs responsabilités, de médias qui commentent et de citoyens qui ne se réduisent pas à des sujets de Bercy. Sinon, il sera balayé par les passions qu’il se targue de dominer au nom d’une raison qu’il serait seul à détenir.
(Chronique parue dans Le Figaro du 12 novembre 2018)