La génération née entre 1942 et 1965 a tout du bouc émissaire. On oublie un peu vite que la durée du travail était alors la plus élevée du monde développé.
François Bayrou a violemment mis en cause les boomers, en les accusant de porter la responsabilité principale du décrochage de la France et de la faillite des finances publiques.
Il est bien vrai que la génération du baby-boom, née entre 1942 et 1965, a bénéficié d’un environnement très favorable.
Elle a en effet connu la paix à partir de 1962, la prospérité avec la plus belle phase de croissance de l’histoire économique de la France entre 1958 et 1973 reposant sur un cercle vertueux entre gains de productivité, hausse du niveau de vie et rentabilité du capital, le progrès social avec le plein-emploi, la montée et l’enrichissement des classes moyennes, l’augmentation du patrimoine des ménages favorisée par le désendettement lié à l’inflation.
Il est bien vrai que les mentalités de ces générations ont été forgées par la révolution introuvable de Mai 68, qui a porté la libéralisation de la société française mais qui a aussi ouvert l’ère de l’individualisme, de la priorité à la consommation sur la production, du primat des intérêts privés sur le bien commun, du mépris pour l’État et l’autorité publique.
Il est bien vrai que les retraités disposent aujourd’hui d’un revenu moyen supérieur à celui des actifs et possèdent plus de 65 % du patrimoine des ménages. Il est tout aussi vrai que leurs pensions mobilisent 14,5 % du PIB et que leur financement a été à l’origine de plus de la moitié des 1 200 milliards d’euros de dette publique accumulés depuis l’élection d’Emmanuel Macron.
Il est vrai que leurs enfants souffrent d’un chômage permanent et d’une paupérisation massive avec une chute de la richesse par habitant au dixième rang dans l’Union européenne, de 15 % inférieure à celle de l’Allemagne et de 52 % à celle des États-Unis.
Il est vrai que leurs petits-enfants sont touchés de plein fouet par la précarité et héritent d’un pays en faillite, conjuguant euthanasie de la croissance, sous-productivité, inemploi de masse, appauvrissement, débâcle des comptes extérieurs et crise de la dette publique.
Des transformations d’une ampleur et d’une rapidité inouïes
Pour autant, le procès fait aux boomers est à la fois faux et injuste. Il s’inscrit dans la longue série de la recherche de boucs émissaires – les immigrés, les riches, les marchés financiers, l’Europe ou la mondialisation –, qui masque les véritables raisons de la crise existentielle de la France et interdit de lui apporter une solution.
Tout d’abord, la génération du baby-boom a non seulement beaucoup travaillé mais elle a supporté des transformations d’une ampleur et d’une rapidité inouïes. De 1960 à 1973, la croissance a progressé de 6 % par an et la production industrielle de 6,5 % par an, grâce à des gains de productivité du travail de 6,5 % par an.
La durée du travail était alors la plus élevée du monde développé et la priorité donnée à l’investissement qui culminait à 25 % du PIB est allée de pair avec la compression des salaires jusqu’en 1968.
Surtout, l’économie et la société françaises ont subi des mutations sans précédent en s’urbanisant, en s’industrialisant et en s’ouvrant au marché commun en une génération.
Par ailleurs, les baby-boomers sont loin d’être uniformes. Ils se divisent en deux ensembles au destin très différent.
Les générations nées entre 1942 et 1955 ont pleinement bénéficié des Trente Glorieuses. Les générations nées entre 1955 et 1965 ont été touchées de plein fouet par la fin de l’ère keynésienne et l’entrée de la France dans une phase de long déclin caractérisé par la décroissance à crédit, le chômage structurel, la paupérisation de la population et des territoires, l’installation d’un double déficit commercial et budgétaire.
Ce ne sont pas les boomers mais les dirigeants qui portent la responsabilité première dans le redressement des Trente Glorieuses comme dans le décrochage de la France depuis 1981.
Si la France obtint les meilleurs résultats du monde développé après le Japon de la fin des années 1950 jusqu’au début des années 1970, c’est grâce aux politiques courageuses qui permirent de surmonter les conflits de la décolonisation, la crise de Mai 68, la désintégration du système de Bretton Woods et le basculement vers les changes flottants, tout en restaurant sa puissance et en lui donnant un positionnement original entre l’Ouest et l’Est, le Nord et le Sud.
Ce n’est pas la fatalité mais les erreurs en chaîne des gouvernants – relance keynésienne et retour à l’économie administrée en 1981, franc puis euro fort, passage aux 35 heures alors que l’Allemagne se lançait dans l’Agenda 2010 et que la Chine entrait dans l’OMC, utilisation de l’euro comme levier pour le surendettement – qui ont fait passer la France à côté du cycle de la mondialisation, puis qui ont refusé d’adapter le modèle français au nouvel âge des empires, mettant l’impératif de la souveraineté et le réarmement au premier plan à partir de 2022.
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(Chronique parue dans Le Point du 12 septembre 2025.)
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