La taxe Zucman, expression la plus aboutie de la préférence pour l’impôt, ne résoudra pas les 168 milliards de déficit de l’État.
Mais elle portera le coup de grâce à une économie exsangue.
La France est devenue l’homme malade de l’Europe. La croissance, limitée à 0,8 %, est à la traîne de celle de la zone euro (1,4 %) et de l’Union (1,5 %).
La productivité poursuit sa chute, en recul de 6 % depuis 2019. Le plein-emploi est loin, le chômage de masse remonte, touchant 7,5 % des actifs.
La paupérisation s’emballe, touchant 9,8 millions de personnes sur fond d’une richesse par habitant inférieure de 15 % à celle de l’Allemagne.
La crise financière est enclenchée, sous la forme d’un étranglement progressif comparable à celui de l’Italie en 2011. La dette, qui culmine à 114 % du PIB, est devenue insoutenable avec l’explosion de son service, qui dépassera 100 milliards d’euros en 2029 et des taux d’intérêt (3,55 % pour l’OAT à dix ans) largement supérieurs à la croissance nominale (2,3 %).
Notre pays, dont la signature ne cesse d’être dégradée, emprunte désormais plus cher que l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce.
Face à l’accélération de la crise financière, le budget pour 2026 présente une importance cruciale.
Il aurait dû tout à la fois marquer la reprise de contrôle des finances publiques, qui passe avant tout par la maîtrise des 1 700 milliards d’euros de dépenses – et amorcer la réorientation du modèle économique et social vers la production, le travail, l’investissement et l’innovation, déclinant sur le plan national le plan d’action dressé par Mario Draghi pour l’Union européenne.
Mais, dans le droit fil de la bulle spéculative où s’est enfermée la vie politique française, le débat se concentre sur l’instauration de la taxe imaginée par Gabriel Zucman, qui prévoit le paiement d’un impôt minimal de 2 % sur le patrimoine des 1 800 ménages disposant d’une fortune de plus de 100 millions d’euros.
Méconnaissance de l’entreprise
La taxe Zucman est l’expression la plus aboutie de la préférence pour l’impôt, de l’ignorance de l’entreprise et de la haine des riches.
Elle ignore volontairement que le capital diffère du revenu, confondant les flux et les stocks, ignorant la variation des estimations et la fluctuation de la valeur des entreprises qui constituent l’essentiel du patrimoine des plus aisés.
Ainsi, Bernard Arnault, outre sa fiscalité personnelle, génère à travers LVMH – qui ne réalise que 8 % de son chiffre d’affaires en France – 8,1 milliards d’euros de recettes pour le Trésor public, dont 3 milliards d’impôt sur les sociétés, augmentés de 700 millions en 2025 par la contribution exceptionnelle.
Elle fait ainsi l’impasse sur la volatilité de la valeur comme des revenus, condamnant à mort les sociétés en perte ou les start-up.
Leurs propriétaires n’auront pas d’autre choix que de vendre des actions en effondrant la valorisation de leurs sociétés, d’emprunter ou d’accepter une nationalisation larvée s’ils paient en titres.
Exil des entrepreneurs
La meilleure illustration est fournie par Mistral, seul modèle d’intelligence artificielle français quand les États-Unis en comptent quarante.
La société, valorisée autour de 12 milliards d’euros en raison de ses perspectives de développement, réalise un chiffre d’affaires de 60 millions d’euros et ne distribue pas de dividendes puisqu’elle affiche pour l’heure des pertes.
La taxe Zucman s’élève à 240 millions d’euros par an, dont 48 millions à la charge de chacun de ses trois créateurs, qui n’ont aucun moyen de l’acquitter, sinon en cédant la propriété de l’entreprise et donc en détruisant sa valeur.
La taxe Zucman – dont les recettes sont estimées à 20 milliards d’euros par son auteur mais à 5 milliards par le Conseil d’analyse économique en raison des pratiques d’optimisation qu’elle ne manquera pas de susciter – ne constitue en rien la solution au déficit de l’État, qui atteint 168 milliards.
Mais elle portera le coup de grâce à une économie exsangue en provoquant des départs massifs de talents et de capitaux tout en ruinant l’attractivité de notre pays.
Le siècle et entraîné l’exode de 150 milliards de capital productif. Depuis la dissolution, l’exil des entrepreneurs et des familles aisées a repris, avec pour destination l’Italie, qui applique un forfait de 200 000 euros, la Suisse ou les États-Unis.
Le même phénomène est constaté au Royaume-Uni, où la suppression du statut fiscal dit non-dom par le gouvernement travailliste de Keir Starmer a provoqué l’exil de 10 800 foyers fiscaux en 2024 et de 16 500 en 2025, avec à la clé une perte de 111 milliards de livres et de 40 000 emplois pour l’économie britannique.
La taxe Zucman se résume donc à une machine infernale pour délocaliser le capital humain, productif et financier de la France afin de le mettre à la disposition de nos concurrents.
Et ce au moment où notre pays est confronté à un mur d’investissement pour répondre aux défis du vieillissement, de la réindustrialisation (l’activité manufacturière a été réduite à 9 % du PIB en France contre 21 % en Allemagne), de l’innovation et de l’IA (effort de recherche de 1,5 % du PIB contre 3 % aux États-Unis et 4,2 % en Suède), de la transition écologique et du réarmement face à la menace existentielle de la Russie.
Et alors que sévit une pénurie mondiale de capital.
Sortir du brouillard de l’idéologie
Il est donc grand temps que le débat économique et budgétaire quitte le brouillard de l’idéologie pour revenir à la réalité des faits. Première réalité, la France est un des pays développés les plus égalitaires du monde (coefficient de Gini de 0,290 après redistribution contre 0,270 pour les moins inégalitaires).
Deuxième réalité, les inégalités n’augmentent pas, y compris en tenant compte des très grandes fortunes, puisque la part des 1 % les plus favorisés dans la richesse nationale est passée de 7,5 % en 1997 à 6,6 % en 2023.
Troisième réalité, la justice fiscale est plus qu’effective dans notre pays puisque 10 % des ménages supportent 75 % de l’impôt sur le revenu et que 1 % en acquittent 13 %, quand 55 % des ménages ne le paient pas, tandis que la redistribution divise par six l’écart de revenus entre les plus aisés et les moins favorisés : il est de 1 à 18 avant redistribution, de 1 à 3 après.
La crise des finances publiques et le surendettement ne proviennent pas de l’insuffisance des recettes (51,3 % du PIB) mais de la dérive des dépenses, qui culminent à 57,1 % du PIB.
Sixième et dernière réalité, l’effondrement de la croissance et de la productivité ne découle pas du manque de dépenses publiques ou de l’explosion des inégalités mais du déficit majeur de travail, d’investissement et d’innovation d’un côté et de l’effondrement de la qualité des services publics – notamment de l’éducation, de la santé et de la sécurité – de l’autre.
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(Chronique parue dans Le Point du 24 septembre 2025.)
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