Le surinvestissement actuel, dopé par l’IA, est d’autant plus dangereux qu’il se développe sur fond de déstabilisation des échanges et des paiements mondiaux créée par la politique de Donald Trump.
Alors que les tensions commerciales, monétaires et géopolitiques s’accumulent, Wall Street flambe. Le S&P 500 a battu quatorze records et progressé de 14 % depuis le début de l’année.
Cette envolée des cours se fonde tout entière sur le pari de l’intelligence artificielle (IA). Les huit principales entreprises spécialisées dans l’IA représentent 36 % de la capitalisation du S&P et les deux tiers de celle du Nasdaq.
La configuration boursière de 2025 présente de nombreux signaux d’alerte. En cinq ans, la hausse du S&P 500 a atteint 89 %, avec une valorisation de l’indice atteignant 28 fois les bénéfices des entreprises contre 27 fois en 2007, à la veille du krach des subprimes ; le Nasdaq s’est envolé de 91 %, avec une valorisation de 35 fois les bénéfices contre 40 fois en 2000, à la veille du krach internet.
Par ailleurs, quatre entreprises – Amazon, Meta, Microsoft et Alphabet – investiront cette année 365 milliards de dollars dans des projets d’IA dont la rentabilité est plus qu’aléatoire.
Enfin, les huit géants de la technologie multiplient les prises de participation et les opérations croisées, à l’image de l’investissement de 100 milliards de dollars de Nvidia dans OpenAI ou de la commande à Oracle par OpenAI de 300 milliards de serveurs équipés de puces Nvidia, qui stimulent l’ascension du cours de leurs actions sans création de valeur tangible.
L’autre manifestation de la montée en puissance des technologies se situe dans les cryptomonnaies. Leur capitalisation boursière a progressé de 830 milliards de dollars en 2023 à 3 900 milliards en septembre 2025, alors qu’elles ne font l’objet d’aucune régulation en raison de leur nature transfrontière et de l’anonymat des opérations.
En 2024, elles ont traité 35 billions de dollars de transactions contre 15,7 billions pour Visa et tendent de plus en plus à proposer des services bancaires, notamment du crédit, à leurs clients. Or le krach de 2008 a souligné les risques systémiques qui naissent à la frontière des secteurs très régulés – la banque et l’assurance – et des activités qui se développent hors de toute régulation.
Dégradation de l’économie américaine
L’emballement des marchés d’action aux États-Unis est d’autant plus dangereux qu’il se développe sur fond de déséquilibres majeurs de l’économie américaine et de déstabilisation des échanges et des paiements mondiaux créée par la politique de Donald Trump.
La prise de contrôle du bureau des statistiques par l’Administration Trump – qui fait écho à la décision de Xi Jinping d’interdire la publication des données sur le chômage des jeunes – ne suffit pas à masquer la dégradation de l’économie américaine. La hausse des droits de douane de 4 % à 18 % en moyenne et la répression aveugle de l’immigration ont provoqué un net ralentissement de l’activité, dont le rythme annuel est revenu de 2,8 % à 1 %, tandis que l’inflation s’élève à 3,5 %.
Les créations d’emplois chutent et 80 000 postes de travail ont été supprimés dans l’industrie depuis le début de l’année. Le chômage touche désormais 4,3 % des actifs, dont 2 millions de personnes depuis plus de six mois. La hausse des profits n’est obtenue que par la compression des salaires qui pèse sur la demande ainsi que par des baisses d’impôts financées par la dette. En guise d’âge d’or, pointe une stagflation qui rappelle les années 1970.
Le deuxième risque est budgétaire. Le One Big Beautiful Bill a programmé 4 500 milliards de dollars de baisses d’impôts concentrées sur les entreprises (réduction de l’impôt sur les sociétés de 35 à 21 %) et sur les plus riches. L’augmentation des droits de douane est très loin de couvrir la chute des recettes fiscales, avec pour effet de porter le déficit à plus de 7 % du PIB.
Or la dette publique s’élève déjà à 37 000 milliards de dollars, soit 120 % du PIB, et son service à 3,8 % du PIB. L’incertitude radicale engendrée par les décisions erratiques de Donald Trump et la dévaluation compétitive du dollar de plus de 10 % achèvent de fragiliser la dette souveraine des États-Unis.
Dégradée, elle voit sa prime de risque augmenter et la défiance des investisseurs s’installer, ce qui se traduit par des sorties nettes de capitaux depuis le début de l’année.
Les barons voleurs
Les marchés d’action sont également affectés par la désintégration de l’État de droit qui accompagne le retour en force d’un capitalisme oligarchique fondé sur la prédation.
Une fusion est opérée entre l’État, la finance et la technologie, qui converge vers la remise en question des instances de régulation. Avec pour symbole, après le désarmement de la SEC, la mise au pas de la Fed et de son président, Jerome Powell, accusé de ne pas baisser les taux suffisamment rapidement alors que l’inflation rebondit.
« La Fed devrait être indépendante, mais je pense qu’elle devrait écouter des gens intelligents comme moi. Je crois avoir un meilleur instinct que Jerome Powell » assène Donald Trump, défendant la même stratégie qui a ruiné la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. Sous la confusion installée entre l’État et des intérêts privés de la famille Trump, notamment dans les hôtels ou les cryptomonnaies, pointe le retour en force des barons voleurs que Theodore Roosevelt, avec l’aide de la loi Sherman de 1890, avait difficilement éradiqués.
La même politique prévaut au niveau international avec le démantèlement du multilatéralisme et des institutions qui avaient été créées pour gérer les risques planétaires financiers, sanitaires, technologiques, climatiques ou stratégiques.
Avec là encore pour conséquence un freinage brutal de la croissance mondiale, amputée de deux points, et du commerce international, en recul de 0,5 à 1,5 % quand était attendue une hausse de 2,7 %.
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(Chronique parue dans Le Figaro du 28 septembre 2025)