La descente aux enfers de notre agriculture, dont l’excédent commercial a chuté de 93% sur les huit premiers mois de l’année, constitue le point d’orgue d’un long décrochage.

Nicolas Baverez. Francois Bouchon
L’agriculture française est passée du lent déclin à l’effondrement.
L’excédent commercial a chuté de 93% sur les huit premiers mois de l’année, réduit à 350 millions d’euros contre 4,5 milliards en 2024 à la même date.
Pour la première fois depuis quarante ans, il sera nul voire négatif en 2025 (il était déficitaire de 158 millions fin septembre).
Cette descente en vrille, qui touche toutes les productions, constitue le point d’orgue d’un long décrochage. Depuis 2000, la France a été ravalée du 2e au 6e rang des exportateurs mondiaux et du 1er au 3e rang en Europe, derrière l’Allemagne et les Pays-Bas. Dans le même temps, les importations ont triplé.
Sur le continent, notre pays se situe également au 3e rang pour la valeur ajoutée (35,1 milliards d’euros), nettement distancé par l’Italie (42,4 milliards) et l’Espagne (39,5 milliards).
Le déclassement de notre agriculture est aussi dévastateur que paradoxal et dangereux, à l’heure où 820 millions des 8 milliards d’hommes souffrent de sous-nutrition et où la souveraineté alimentaire s’affirme comme un enjeu décisif, mis en évidence par la pandémie de Covid puis la guerre en Ukraine.
L’agriculture était le premier poste exportateur de l’économie française et son recul lui a fait perdre près d’un point de PIB et 100.000 emplois depuis 2000.
Par ailleurs, au moment où les risques géopolitiques explosent, la France voit se refermer le piège de la dépendance alimentaire, avec des importations qui assurent le quart de sa consommation et qui atteignent :
- 71% pour les fruits (la cerise fut liquidée par l’interdiction du diméthoate),
- 28% pour les légumes,
- 56% pour le mouton,
- 48% pour le poulet,
- 28% pour le porc
- et 22% pour le bœuf.
Enfin, le dépérissement de l’agriculture jette le monde rural dans la pauvreté et l’anomie, donc dans les bras de l’extrême droite.
L’agriculture française meurt de la désintégration et de l’obsolescence de son appareil de production.
Sa valeur ajoutée s’est contractée jusqu’à 1,6% du PIB. Elle ne compte plus que 390.000 exploitations contre 1,6 million en 1970 et 700.000 en 2000.
Loin d’être concentrées et modernisées, 10% d’entre elles sont en faillite. Près de 20% des ménages d’agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté, avec des revenus en chute de 19,1% en 2024.
Une politique malthusienne
La descente aux enfers de l’agriculture française renvoie certes à la multiplication des chocs et des crises :
- le réchauffement climatique ; la multiplication des épizooties – qui touchent actuellement les volailles et les bovins ;
- l’éclatement de la mondialisation en blocs qui va de pair avec la montée du protectionnisme et la multiplication des sanctions ;
- la généralisation de la guerre commerciale qui cible souvent les produits emblématiques de notre pays, à l’image des vins, des spiritueux ou des fromages.
Ainsi les exportations de vins et spiritueux vers les États-Unis, qui s’élèvent à 4 milliards d’euros par an, sont-elles touchées de plein fouet par les mesures de protection prises par Donald Trump qui conjuguent une hausse des droits de douane de 15% et une dévaluation du dollar de 15%, tandis que les ventes à la Chine sont lourdement freinées et le négoce avec la Russie ou l’Algérie ramené au point mort.
La raison première de notre débâcle agricole ne résulte cependant pas dans le traité Mercosur, qui n’est pas entré en vigueur et sert de bouc émissaire. Elle provient de la politique malthusienne qui a été poursuivie par la France et l’Union ainsi que de la perte de sa compétitivité liée à l’explosion des coûts fiscaux, sociaux et réglementaires dans notre pays.
L’Union européenne, qui consacre 30% de son budget à la PAC, a méthodiquement détruit l’agriculture, comme les secteurs des télécommunications, de l’automobile ou de l’énergie.
Elle l’a en effet détournée de son objet, qui consiste à produire pour nourrir la population, pour la mettre prioritairement au service de la baisse des émissions de 50% d’ici à 2030 et de l’entretien des paysages.
La stratégie From Farm to Fork a ainsi planifié la mise en jachère de 10% de terres et la diminution drastique de tous les produits phytosanitaires, quand bien même ils n’ont aucun substitut.
Avec pour conséquences la chute de 15% de la production, l’envolée des importations de colza, de soja, de tournesol, de bœuf, de fruits et de légumes, la diminution de 16% des revenus des agriculteurs.
Le déficit alimentaire est censé être couvert par les importations bon marché ne respectant pas les normes sociales et environnementales européennes, ce qui constitue une triple aberration économique, écologique et stratégique.
(…)
Lire la suite de l’éditorial sur lefigaro.fr
(Chronique parue dans Le Figaro du 23 novembre 2025)
![]()
