La forme pure de ce régime politique n’existe plus qu’en Scandinavie, en Suisse, en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Canada. Partout ailleurs, le clivage avec les régimes autoritaires se brouille.
Depuis les Lumières, la démocratie a été au cœur de l’Histoire et du système international tout en restant minoritaire au sein des États. Le XIXe siècle fut placé sous le signe de son émergence face aux sociétés d’Ancien Régime. Le XXe siècle, marqué par les grandes guerres conduites au nom des idéologies, s’organisa autour de la lutte à mort que lui livrèrent les totalitarismes.
Loin de marquer son avènement, le XXIe a semblé basculer vers la confrontation avec les nouveaux empires autoritaires. Avec pour symbole la guerre d’extermination contre l’Ukraine et la guerre hybride contre les autres nations du continent européen que poursuit la Russie de Vladimir Poutine.
Une autre ligne de fracture se dessine cependant au sein même des démocraties, qui les divise et les affaiblit. La planète ne compte plus que 25 démocraties à part entière, qui ne gouvernent que 6,6 % de la population mondiale contre 12,5 % en 2014, pour 96 régimes autoritaires.
Simultanément s’accentue un mouvement de corruption interne des nations libres, qui intègrent de plus en plus de traits autocratiques ou tyranniques sous la pression des leaders et des partis populistes qui manipulent des masses d’individus paupérisés et atomisés.
L’implosion du monde libre
Contrairement aux tyrannies dont le principe est la toute-puissance d’un despote autoproclamé, la démocratie est un régime complexe. Elle associe six principes qui se déclinent selon les continents et les cultures nationales : le suffrage universel et l’organisation d’élections libres et régulières ; la séparation des pouvoirs ; l’existence d’un État de droit ; le pluralisme politique ; la modération des mœurs ; la reconnaissance des droits de l’homme.
Cette forme pure de la démocratie n’existe plus qu’en Scandinavie, en Suisse, en Australie et en Nouvelle-Zélande ainsi qu’au Canada. Partout ailleurs, ces piliers se sont fissurés et dissociés, faisant éclater le monde démocratique, sapant les alliances qui fondaient son unité et sa sécurité, brouillant le clivage avec les régimes autoritaires. De la Norvège et de la Suisse jusqu’à la démocratie illibérale inventée et théorisée par Viktor Orban en Hongrie, il existe aujourd’hui une vaste galaxie de régimes qui se réclament de la démocratie sans répondre à ses exigences.
Les États-Unis constituent le symbole et l’accélérateur de cette implosion du monde libre. L’Amérique, dont l’histoire se confondait avec la liberté politique, a basculé dans l’illibéralisme. Or elle avait fait la décision en faveur de la démocratie lors des trois guerres mondiales du XXe siècle puis l’avait réassurée à partir de 1945.
Avec Donald Trump s’est concrétisée la hantise des pères fondateurs de voir se faire élire un despote conjuguant absolutisme de la souveraineté du peuple, toute-puissance du président, désarmement des contre-pouvoirs, volonté de contrôler l’Université, la recherche et les médias, capitalisme oligarchique, alignement sur la doctrine des empires autoritaires d’un monde partagé en zones d’influence où la force prime le droit.
Les raisons de l’éclatement
L’éclatement de la démocratie trouve ses racines dans de multiples causes. La mondialisation a paupérisé et dynamité les classes moyennes qui constituent son socle sociologique et politique. La révolution numérique, à travers les réseaux sociaux ou l’IA, a formidablement accru les inégalités et radicalisé les opinions, tout en favorisant le retour d’un capitalisme de prédation et l’émergence d’une oligarchie technologique qui revendique le contournement des États et le mépris du peuple.
Les stratégies non maîtrisées de transition écologique ont achevé de ruiner les classes populaires et moyennes en rendant difficile et prohibitif l’accès au logement, à l’énergie ou à la mobilité. Le wokisme et la guerre culturelle ont délégitimé les valeurs universelles et déchaîné les revendications identitaires, relayant et appuyant la propagande des régimes autoritaires.
L’État de droit s’est concentré sur la défense formelle de la norme, oubliant sa mission première de garantir la paix civile et encourageant la libération de la violence. L’ordre mondial de 1945 s’est écroulé pour céder la place à un nouvel âge des empires où la guerre est omniprésente.
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(Chronique parue dans Le Point du 11 août 2025.)
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