Une chute de l’ordre de 20 % du PIB, 1 million d’emplois supprimés… Un pari ruineux.
La sortie de l’euro sera au cœur de la prochaine campagne européenne. Loin d’être tabou, ce débat est parfaitement légitime. La France est coupée de la reprise européenne et se trouve enfermée dans une décennie de croissance zéro et de chômage de masse. Elle est happée par une dynamique de sous-développement, puisque la population croît plus vite que l’activité. L’euro n’est pas à l’origine du déclin français, qui remonte à trois décennies, mais il a accéléré le décrochage en supprimant le recours à l’inflation et à la dévaluation ; et ce d’autant que les 35 heures ont porté un coup mortel à la compétitivité. Par ailleurs, la perte de contrôle des finances publiques ainsi que le déficit de la balance courante font de la France le premier risque systémique pour la monnaie unique. Un choc sur la dette est inéluctable dès lors que le rejet de l’impôt tourne à la grande jacquerie, alors que la France devra emprunter plus de 175 milliards sur les marchés en 2014 et en 2015.
De son côté, la zone euro sort de la récession mais reste sous la menace de la déflation (hausse des prix réduite à 0,7 %), du chômage (12,2 % de la population active), et du surendettement des États (93 % du PIB). La fragmentation financière va de pair avec l’effondrement du crédit pour les PME. Les réformes de la gouvernance de l’euro se rapprochent des conditions d’une zone monétaire optimale (gouvernement économique, banque centrale prêteur en dernier ressort, solidarité financière, contrôle budgétaire), mais sont en contradiction avec la lettre et l’esprit du traité de Maastricht. Enfin, les populismes flambent, alimentés par la lassitude envers l’austérité au Sud et la lassitude envers la solidarité au Nord.
Face à ce constat, il n’est que deux solutions : la sortie de l’euro ou sa refondation à travers une intégration renforcée.
La sortie de l’euro peut s’effectuer selon deux scénarios : une négociation qui associerait le retour aux monnaies nationales dans l’Europe du Sud à la création d’une monnaie commune ; une désintégration de l’euro sous la contrainte politique intérieure et la contrainte financière extérieure. Le premier scénario d’une sortie concertée reste théorique pour deux raisons : il suppose que tous les États de la zone euro s’accordent et donnent la priorité à leur coopération, ce qui est contradictoire avec la défense de leurs intérêts dans un moment de renationalisation de leur politique économique ; il postule une neutralité des marchés alors que la spéculation ne manquera pas de se déchaîner. Seule une sortie non ordonnée de l’euro est crédible. Elle est indissociable d’un fort risque d’éclatement du grand marché du fait des dévaluations compétitives en chaîne, de l’implosion des bilans bancaires et des inévitables mesures de contrôle des changes.
Du point de vue de l’économie française, le pari de la sortie de l’euro consiste à recouvrer l’usage de la dévaluation et de l’inflation. Le retour au franc s’accompagnerait d’une dévaluation de 20 à 30 % qui compenserait la perte de compétitivité prix depuis le passage à l’euro. Quatre problèmes majeurs se présentent cependant, qui mettraient en échec cette relance. La faiblesse de l’industrie, qui génère plus de 70 % des exportations, ne permettrait pas de bénéficier pleinement de la dévaluation compétitive alors que les importations seraient renchéries. La dette libellée en euros se trouverait, en vertu du principe de continuité des contrats, augmentée du montant de la dévaluation, atteignant 120 à 130 % du PIB ; à moins de faire défaut, ce qui interdirait à la France de recourir aux marchés et mettrait les banques et les assurances en faillite. Les taux d’intérêt augmenteraient violemment, cassant l’investissement des ménages et des entreprises. Le pouvoir d’achat des Français serait amputé de 20 à 25 % immédiatement, puis davantage avec le cycle dévaluation/inflation.
Au total, la sortie de l’euro se traduirait, à terme, par une chute de l’ordre de 20 % du PIB. Elle entraînerait la suppression de plus de 1 million d’emplois dans le secteur marchand. Loin de rétablir la souveraineté du pays, elle le placerait à la merci des marchés financiers du fait de l’envol de la dette et de la désintégration du système bancaire. L’éclatement inévitable du grand marché se traduirait par un recul d’environ 5 % du PIB de la zone euro, soit une baisse des revenus de 4 000 à 5 000 euros par habitant. La double désintégration de l’euro et du grand marché ferait enfin rechuter l’économie mondiale dans la récession.
La solution de la consolidation de l’euro est assurément préférable. Elle repose sur une réorientation du pilotage de la zone en faveur de la croissance, de l’investissement et de l’emploi. Cela suppose un accord avec l’Allemagne pour institutionnaliser le nouveau statut de la BCE et pour mettre en place une stratégie monétaire expansionniste en échange de réformes structurelles des pays en déficit. C’est la France qui est en situation de trancher ce noeud gordien. Elle doit reconstruire un appareil de production compétitif, lutter contre le chômage par la libéralisation du marché du travail et la modernisation de son système éducatif, rétablir ses comptes par la baisse drastique des dépenses publiques.
Les critiques de l’euro ont raison d’affirmer que le statu quo est intenable, car il débouche sur le naufrage de la France et de la monnaie unique, mais ils se trompent sur l’issue. Ce n’est pas la sortie de l’euro mais sa refondation, couplée à la réforme du modèle français, qui peut restaurer la souveraineté nationale et relancer l’Europe.
(Chronique parue dans Le Point du 28 novembre 2013)