La France, en faisant la part trop belle à la décroissance, perd un temps précieux.
Au moment où les risques systémiques sur l’économie se réduisent, la crise de l’environnement impose de replacer la transition énergétique au rang des priorités. Force est de constater que le choc déflationniste de 2008 n’a pas stoppé la dégradation de l’environnement. Les émissions de dioxyde de carbone continuent à progresser (+ 46 % par rapport à 1990), laissant prévoir une hausse de 1 à 4 degrés de la température et de 40 à 62 centimètres du niveau des océans d’ici à 2100. La déforestation et l’acidification des mers s’emballent. Les métropoles chinoises et indiennes deviennent invivables tandis que prolifèrent les catastrophes naturelles et les événements climatiques extrêmes.
La révolution des hydrocarbures non conventionnels s’amplifie aux États-Unis, qui redeviennent le premier producteur mondial. Elle fait de l’Amérique la terre par excellence des relocalisations. Elle explique l’impact limité sur le marché pétrolier des révolutions et guerres civiles du monde arabo-musulman ou de l’annexion de la Crimée par la Russie.
La révolution ukrainienne et le rattachement de la Crimée à la Russie représentent un défi majeur pour la sécurité énergétique de l’Europe. Son approvisionnement en gaz dépend pour 30 % des exportations russes, dont la moitié transite par l’Ukraine. L’Allemagne, en particulier, compte sur Moscou pour plus du quart de sa consommation d’hydrocarbures.
Enfin, les opinions publiques se révoltent devant le coût de la transition énergétique. L’Allemagne revoit à la baisse les subventions des énergies renouvelables devant l’explosion du prix de l’électricité (surcoût de 24 milliards d’euros par an). En France, le projet d’écotaxe a provoqué la mobilisation des bonnets rouges en Bretagne qui menace de gagner tout le pays.
Les stratégies énergétiques des grandes nations se trouvent bouleversées. Les États-Unis accélèrent leurs investissements dans la production des hydrocarbures non conventionnels, les renouvelables et les réseaux intelligents. Les pays émergents multiplient les programmes de réacteurs nucléaires : 78 centrales sont en construction, dont 28 en Chine, 10 en Russie, 6 en Inde et 5 en Corée du Sud. Le Japon se prépare au redémarrage d’une partie de ses 48 réacteurs. L’Allemagne engage la révision des objectifs de sortie du nucléaire en 2022 et de 80 % d’énergie renouvelable en 2050, compte tenu de coûts estimés entre 500 et 1 000 milliards d’euros mais aussi des émissions de carbone relâchées par les centrales au charbon et au lignite.
Dans ce contexte, il est indispensable que la France et l’Europe repensent la transition énergétique. La France ne s’est pas engagée dans la transition énergétique, mais dans la décroissance, en se donnant pour objectif la baisse de la consommation d’énergie. Pour les entreprises, la consommation d’électricité a de fait diminué de 18 % depuis 2005 tandis que les coûts ont augmenté de 23 %, au prix d’une désindustrialisation accélérée, de la destruction d’emplois et d’un envol du déficit commercial : la hausse de 10 % du prix de l’électricité entraîne la chute de 2 % des exportations. La gestion du parc nucléaire est calamiteuse avec un taux de disponibilité de 78 % du fait des retards dans les travaux de maintenance. La fermeture de Fessenheim lui porterait un coup fatal en ruinant l’industrie de l’Alsace, dont 85 % de l’approvisionnement dépend de la centrale, en obligeant à indemniser EDF à hauteur de plus de 1 milliard d’euros et en supprimant 2 200 emplois. La Cour des comptes évalue par ailleurs à 40 milliards d’euros les investissements requis pour l’objectif de 23 % de renouvelable d’ici à 2020.
L’effondrement des filières du renouvelable, notamment dans le solaire, crée un risque permanent de rupture d’approvisionnement. Le retour en force du charbon augmente les émissions de gaz à effet de serre. Le continent se trouve désarmé face à la poussée impérialiste de la Russie par sa dépendance énergétique. L’Europe de l’énergie comme l’improbable Airbus franco-allemand de l’énergie restent dans les limbes.
La France comme l’Europe doivent donc redéfinir la transition énergétique autour des principes suivants : une énergie abondante pour tous ; la mobilisation de l’énergie au service des entreprises ; la sécurité des approvisionnements ; la prime aux énergies décarbonées. En découlent cinq priorités : l’optimisation du parc nucléaire avec la prolongation de sa durée de vie jusqu’à soixante ans, voire au-delà ; le développement des énergies renouvelables dans un cadre économiquement soutenable ; l’intensification de la concurrence, notamment par l’attribution par appel d’offres des concessions hydro-électriques ; le soutien de la recherche dans les secteurs clés des batteries, du stockage de l’électricité, de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, des réseaux intelligents ; la constitution du grand marché européen de l’énergie.
La transition énergétique ne peut se donner pour but de rationner l’énergie ou d’en augmenter le prix. Elle doit la mettre au service de la population, des entreprises et de la souveraineté des nations libres.
(Chronique parue dans Le Point du 20 mars 2014)