« Pas plus que le capitalisme, la liberté politique n’est l’apanage d’une nation ou d’une civilisation… »
« Pas plus que le capitalisme, la liberté politique n’est l’apanage d’une nation ou d’une civilisation. À partir du XIIIe siècle, l’Europe, très en retard économiquement et technologiquement sur la Chine et le monde arabe, s’engagea dans l’invention du capitalisme et de la démocratie grâce à la redécouverte de l’héritage intellectuel de l’Antiquité, de la construction d’États concurrents, de l’unité de plus en plus disputée de l’Église d’Occident. Aujourd’hui, de même, nombre des principes qui ont fait le succès de l’Europe puis des États-Unis sont repris à leur compte avec succès par d’autres civilisations.
La protection des droits et de l’autonomie des personnes, le pluralisme des opinions et des partis, le respect des institutions et de l’État de droit possèdent une dimension universelle. L’Occident demeure la clé de voûte du lien fondateur entre liberté économique et liberté politique. Mais ces principes peuvent aussi prendre des formes très variées selon les nations et les cultures.
La liberté politique est indissociable des contradictions qui la traversent et qui peuvent à tout moment l’emporter. Contradiction entre l’individualisme et la volonté de vivre ensemble. Contradiction entre la concurrence et la lutte contre les inégalités. Contradiction entre la stabilité et l’impératif du changement. Contradiction entre la mobilisation des citoyens et le refus des utopies qui détruisent l’homme au prétexte de la rénover. Contradiction entre l’exercice de la raison critique et la foi dans la liberté. Contradiction entre le principe de modération et la nécessité de défendre la liberté contre ses ennemis jusqu’à mourir pour elle.
Le seul programme crédible pour l’humanité à l’horizon du XXIe siècle reste bien placé sous le signe de la liberté. Or les plus grands risques qui planent sur elle sont internes à l’Occident, liés au suicide démographique, au repli, à la lassitude et à la perte de confiance dans les valeurs démocratiques. Ce n’est pas parce que les démocraties ne peuvent pas seules décider du cours du XXIe siècle qu’elles doivent s’en désintéresser. Ce n’est pas parce qu’elles sont contestées dans leur capacité à gérer le capitalisme qu’elles doivent renoncer à innover. Bien au contraire. »
© Albin Michel, 2016