L’économiste américain Arthur Laffer avait théorisé l’effet dissuasif d’un impôt trop élevé. La situation économique de la France, avec ses 40 milliards d’impôts nouveaux dans une économie exsangue, lui donne malheureusement raison.
Alors que l’activité recule aux États-Unis de 0,3 % et que l’inflation bondit à 2,8 % sous l’effet du tournant protectionniste et des décisions erratiques de Donald Trump, la croissance résiste dans la zone euro en progressant de 0,4 % au premier trimestre 2025. Avec une exception, la France, où la progression est limitée à 0,1 % – après un recul de 0,1 % fin 2024 -, quand elle atteint 0,2 % en Allemagne, 0,3 % en Italie, 0,6 % en Espagne et même 3,2 % en Irlande.
Tous les moteurs de la croissance sont désormais en panne dans notre pays. La consommation stagne et revient à son niveau de 2014 pour les biens. L’investissement poursuit sa chute (- 0,2 %). Les exportations baissent de 0,7 %. Avec pour conséquence l’envolée des faillites et du chômage, le retour en force de la désindustrialisation avec une cascade de fermetures de sites et de plans sociaux (la valeur ajoutée de l’industrie est réduite à 9 % du PIB contre 15,4 % en Italie, qui est devenue le quatrième exportateur mondial).
La situation de l’économie française est d’autant plus inquiétante que le choc tarifaire des États-Unis n’est pas encore intervenu. Or il touchera de plein fouet les 28.000 entreprises qui exportent vers les États-Unis et qui génèrent 1,7 % du PIB. Dès lors, la prévision de croissance du gouvernement, ramenée de 1,1 % à 0,9 %, puis 0,7 %, demeure irréaliste. En 2025, notre pays échappera de justesse à la récession.
Dans le même temps, la France confirme qu’elle a perdu le contrôle de ses finances publiques. En 2024, elle a affiché le pire résultat de la zone euro, avec un déficit de 5,8 % du PIB (contre une moyenne de 3,1 %), un déficit primaire qu’elle est la seule à présenter et qui s’élève à 4,4 % du PIB, une dette publique de 113,1 % du PIB (contre une moyenne de 87,4 %). La stagnation de l’activité conduira en 2025 à un déficit proche de 6 % du PIB et à une dette de l’ordre de 118 % du PIB, devenue insoutenable puisque la croissance nominale plafonnera entre 2 % et 2,5 % pour des taux d’intérêt de l’ordre de 3,5 %.
Mécanique infernale
L’annihilation de la croissance et l’accélération de la crise budgétaire actent l’échec du choc fiscal du budget de 2025, qui a renoncé à tout effort de diminution des dépenses (57,1 % du PIB, contre 49,6 % dans la zone euro) pour appliquer 40 milliards d’impôts nouveaux à une économie exsangue – dont les deux tiers supportés par les entreprises.
En 1974, Arthur Laffer avait illustré par une courbe l’adage selon lequel « trop d’impôt tue l’impôt ». Si sa modélisation est plus pédagogique que scientifique, le principe dégagé par Jean-Baptiste Say qui veut qu’« un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte » est parfaitement exact. Il ne s’applique pas aux États-Unis, où les prélèvements sont limités à 25,2 % du PIB, ce qui souligne l’irresponsabilité des 4500 milliards de dollars de baisses d’impôts programmées par Donald Trump sur dix ans. En revanche, il explique la mécanique infernale qui broie l’économie et la société françaises. Ce qu’Arthur Laffer avait imaginé, François Bayrou, dans la continuité d’Alain Juppé en 1995 et de François Hollande en 2012, l’a fait.
Contrairement à leurs dirigeants, les Français ont compris que la crise financière a débuté et que les déficits et la dette publics ne sont rien d’autre que de l’impôt différé. Le déluge d’impôts, s’ajoutant aux tensions géopolitiques et au basculement des États-Unis dans l’illibéralisme, a installé un climat d’incertitude et d’anxiété qui paralyse les acteurs de l’économie, de la consommation des ménages aux investissements et aux embauches des entreprises.
Une proposition ubuesque
La fiscalité, à laquelle s’ajoute la surréglementation, est en passe de liquider le « made in France ». Une saisissante illustration est fournie par l’aérien, dernière filière d’excellence avec le luxe même si toutes deux montrent des signes de fragilité. Les prélèvements sur le transport aérien ont été portés à 4 milliards d’euros pour un chiffre d’affaires de 18 milliards, alors même que la France est le seul pays européen avec l’Allemagne qui n’a pas retrouvé le niveau de trafic antérieur à la pandémie de Covid.
Il en résultera cet été une diminution de l’offre de sièges sur la France, reléguée au sixième rang en Europe (58,6 millions), très loin derrière le Royaume-Uni (97,6), l’Espagne (90,6), l’Italie (68) ou la Turquie (66,4). Avec à la clé une perte massive de visiteurs (estimée à un demi-million pour les seuls Britanniques), et donc la réduction des recettes touristiques et des ressources fiscales correspondantes pour des montants très supérieurs aux revenus attendus des surtaxes aériennes, contrecarrés par la baisse du trafic.
De même, alors que la construction est revenue au niveau de 1952, l’immobilier qui croule sous 95 milliards d’impôts a subi la hausse des frais dits de notaire. La filière automobile n’est pas en reste. Alors qu’elle représente 9 % de l’emploi salarié, que sa production est tombée à son étiage de 1962, qu’elle joue sa survie au moment où le marché chinois dépasse celui des États-Unis et de l’Europe combinés, elle a vu son imposition alourdie de plus de 2 milliards d’euros avec l’extension du malus à 75 % des véhicules neufs et aux véhicules d’occasion.
Face à ce naufrage, la proposition de François Bayrou d’organiser un référendum sur le rétablissement des finances publiques apparaît ubuesque. Elle empiète tant sur les compétences du président de la République que sur celles du Parlement, dont la mission première consiste à voter la loi et l’impôt. Elle peine à identifier la question sur laquelle porterait la consultation. Enfin, elle induit un risque politique et financier majeur puisque le rejet d’un plan de redressement provoquerait l’emballement de la crise de la dette, comme ce fut le cas en Grèce en juillet 2015 avec la tentative avortée d’Aléxis Tsipras de forcer la main des marchés et de l’Union.
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Chronique parue dans Le Figaro du 11 mai 2025