Si la France continue ses réformes a minima, le chômage continuera sa folle ascension.
Le choc fiscal de 2 % du PIB crée en 2013 un risque de rupture de l’appareil productif, mais aussi du tissu social. Loin de s’inverser, la courbe du chômage ne peut manquer de s’aggraver avec la récession. À la fin de 2012, la France comptait 3,1 millions de personnes privées d’emploi, 4,6 millions de personnes cherchant du travail et 5,2 millions de chômeurs en comptant les travailleurs découragés, soit 18 % de la population active. Le chômage est la première source de déclassement et de paupérisation des Français, nourrissant la misère et l’exclusion. Il touche désormais toutes les catégories de la population, même s’il cible en priorité les jeunes, génération sacrifiée dont le taux de chômage atteint 24 %, les immigrés et leurs descendants.
La France n’a certes pas le monopole du chômage. Il constitue la pire séquelle du choc déflationniste de 2008 puis de la crise des risques souverains dans la zone euro, où le taux d’inemploi s’élève désormais à 11,8 %, culminant à 25 % en Grèce et 26 % en Espagne. Force est cependant de constater qu’il demeure très inférieur dans la plupart des pays développés, non seulement hors d’Europe (7,8 % aux États-Unis, qui ont créé 1,8 million d’emplois depuis 2011, 4,1 % au Japon), mais aussi sur notre continent (7,8 % au Royaume-Uni, 8,1 % en Suède) et dans la zone euro (5,4 % en Allemagne, 5,6 % aux Pays-Bas). Surtout, la France reste une exception, la seule nation à n’être jamais revenue au plein-emploi depuis les chocs pétroliers des années 70.
La lutte contre le chômage est la clé pour le redressement économique du pays comme pour la résistance de notre démocratie à la montée des populismes. Elle dépend de quatre facteurs fondamentaux :
- La démographie, qui reste dynamique avec une population en hausse de 1,4 million de personnes en quatre ans, ce qui est positif pour le développement à condition que l’emploi suive, ce qui n’est pas le cas avec un taux d’activité limité à 51 %, contre 56 % en Europe.
- La croissance, qui est nulle depuis le printemps 2011 et deviendra négative en 2013. Le coût et la réglementation du travail, qui sont les plus élevés et les plus rigides du monde depuis les réformes en Italie et en Espagne (34 euros l’heure, contre 30 en Allemagne, 26 en Italie, 20 au Royaume-Uni et en Espagne).
- Le niveau de productivité et les ressources en qualifications élevées, qui stagnent et sont directement compromis par le blocage de la modernisation des universités, avec la remise en question de l’autonomie, des pôles d’excellence et du principe de l’évaluation, ainsi que par l’exil fiscal des entrepreneurs, des talents et des créateurs.
Dans ce contexte, la négociation ouverte sur la flexibilité de l’emploi et la sécurisation des parcours professionnels revêt une importance décisive. L’accord conclu le 11 janvier marque un progrès incontestable dans les relations du travail – puisqu’il est le premier depuis l’échec de la négociation de 1984 -, sans pour autant constituer un compromis historique sur un nouveau pacte social. Les entreprises obtiennent de moduler le temps de travail et les salaires pour éviter des licenciements, la sécurisation des plans sociaux grâce à une homologation administrative qui contourne les interminables procédures judiciaires, la limitation des recours contre les licenciements. Les syndicats engrangent la taxation des CDD de moins de trois mois et l’encadrement du temps partiel, la généralisation du compte personnel de formation et de l’assurance complémentaire santé pour les 3,5 millions de salariés non couverts par des accords collectifs, des droits rechargeables pour les chômeurs, enfin des sièges dans les conseils d’administration des groupes de plus de 5 000 salariés.
Le renforcement des droits à la formation et à l’assurance santé pour le travail précaire comme l’assouplissement des plans sociaux sont positifs, même s’il l’on doit déplorer du point de vue de l’État de droit que l’ignorance des magistrats en matière économique et leur aversion pour le marché et l’entreprise aboutissent à faire de leur dessaisissement au profit de l’administration un progrès pour l’emploi. Mais cette avancée continue à être contestée par la CGT et FO. Surtout, l’accord n’apporte pas de solution aux dysfonctionnements majeurs du marché du travail français. La flexibilité est purement défensive, visant à limiter les licenciements face à la récession, mais non pas à libérer la création d’emplois. La convergence entre CDI et contrats précaires reste embryonnaire dès lors que le renforcement légitime des droits attachés aux CDD n’est pas accompagné d’un assouplissement du CDI – dont la logique demeure l’emploi à vie et la référence le statut de la fonction publique. La taxation des CDD renchérit le coût du travail et créera de nouveaux chômeurs tout en favorisant le recours à l’intérim. La complexité du Code du travail, dissuasive pour l’embauche, se trouve aggravée.
Comme pour le crédit d’impôt compétitivité, qui cherche à limiter l’impact négatif sur la croissance et la compétitivité des 30 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires imputés aux entreprises, comme pour la création de la Banque publique d’investissement, qui espère en vain suppléer au tarissement du financement des entreprises provoqué par la mise en place d’une fiscalité confiscatoire sur le capital, l’accord sur la préservation de l’emploi entend, parallèlement à la multiplication des mesures de traitement social, endiguer l’accélération du chômage provoqué par l’effondrement de la production et de l’investissement privés. Dans le même temps, ces réformes a minima visent à acheter la paix des marchés financiers et des agences de notation dans l’attente d’une hypothétique reprise, en leur offrant des symboles politiques à défaut d’une véritable conversion du modèle français. Cette schizophrénie qui met en scène la réforme pour mieux acter le statu quo, qui en appelle à la convergence européenne pour masquer une stratégie non coopérative hexagonale aux économies compétitives de l’Europe du Nord comme aux réformes structurelles de l’Europe du Sud, peut tromper un temps les marchés comme nos partenaires. Elle ne peut échapper à la sanction de l’économie réelle, qui sécurise pour 2013 la récession et le chômage pour tous.
(Chronique parue dans Le Point du 17 janvier 2013)