Pour l’Europe, les cinq prochaines années seront décisives. Soit elle parvient à s’affirmer comme un acteur stratégique indépendant. Soit elle perdra sa souveraineté et sa liberté pour faire l’objet d’un nouveau Yalta entre les puissances impériales.
La guerre lancée par Israël contre l’Iran avec pour objectif de détruire son appareil militaire, ses installations nucléaires et son régime politique confirme le bouleversement de la géopolitique mondiale. Elle illustre le primat de la force sur le droit, même si Israël peut fonder son opération sur la légitime défense face à un État qui entend se doter de l’arme atomique pour l’annihiler.
Elle souligne la vitesse de l’évolution des rapports de force, avec l’effondrement de l’empire chiite depuis les massacres du 7 octobre 2023, de la neutralisation du Hamas à Gaza et du Hezbollah au Liban à la chute de Bachar el-Assad en Syrie. Elle témoigne, tout comme le conflit ukrainien, de la transformation radicale de la guerre avec le rôle clé de l’espace et du renseignement, de la défense aérienne avec les systèmes de dômes, des drones, du cyber et de l’intelligence artificielle – autant d’éléments qui jettent une lumière crue sur les lacunes et les retards des armées françaises, y compris dans la protection des sites et des vecteurs de la dissuasion.
Choc existentiel
L’âge des empires et des autocrates est indissociable de la sortie de tout contrôle de la violence, qui se trouve au principe de régimes fondés sur la peur comme de leur politique extérieure fondée sur les conquêtes territoriales. L’effondrement des institutions et des règles internationales entraîne la disparition de tout ordre mondial au profit de l’expression pure des rapports de force. À ce jeu, ce ne sont pas les États-Unis mais les puissances les plus hostiles à la liberté qui sont gagnantes. La destruction des échanges, du système monétaire et des paiements mondiaux par Donald Trump bénéficie avant tout à la Chine. Et l’éclatement de l’Occident a été acté par le G7 de Kananaskis au Canada.
Le choc est existentiel pour l’Europe qui traverse sa pire crise depuis 1945. Elle fait l’objet d’une menace vitale de la Russie de Vladimir Poutine tout en restant visée par le djihad. L’Amérique, de protecteur garant de sa sécurité, se transforme en prédateur. La Chine en fait le déversoir de ses formidables surcapacités de production servies par un dumping systématique et par la dévaluation du yuan. Le « Sud global » la déteste et la dénonce au nom du ressentiment contre le passé colonial.
L’Europe, qui a pratiqué un désarmement unilatéral de la chute de l’URSS à l’invasion de l’Ukraine en cultivant le rêve d’une paix éternelle et d’une guerre impossible, se découvre vulnérable, impuissante et marginalisée dans un monde où la paix est impossible et la guerre omniprésente. Il n’est pas jusqu’au commerce, qu’elle tenait pour l’instrument privilégié de la paix, qui ne se transforme en arme de guerre, de même que la monnaie, les flux de capitaux, la technologie, l’énergie, les flux migratoires, l’information ou les élections.
Des années décisives
Pour l’Europe, les cinq prochaines années seront décisives. Soit elle parvient à s’affirmer comme un acteur stratégique indépendant apte à assurer la défense de ses institutions, de sa civilisation et de ses valeurs. Soit elle perdra sa souveraineté et sa liberté pour faire l’objet d’un nouveau Yalta entre les puissances impériales.
Le paradoxe veut que l’Europe dispose de nombreux atouts, que le basculement des États-Unis dans l’irrationalité, l’incertitude et l’illibéralisme amène à redécouvrir : un PIB dix fois supérieur à celui de Moscou ; des talents, des cerveaux et de l’épargne ; un grand marché de 450 millions de consommateurs riches et éduqués ; une gouvernance fondée autour d’un État de droit solide et d’une monnaie stable, l’euro. Par ailleurs, il existe une Europe qui performe : au nord avec les pays scandinaves qui concilient compétitivité, solidarité, innovation, transition climatique et réarmement ; au sud avec les pays méditerranéens qui, à la seule exception de la France, se redressent à vive allure ; à l’est avec le spectaculaire rattrapage de l’Europe centrale et orientale depuis sa sortie de l’orbite soviétique.
L’Europe est moins faible qu’elle ne le pense et le ressent. Mais elle ne pourra assurer sa survie que si elle assume un changement radical et une clarification autour de sa souveraineté et de sa sécurité. En répondant à trois questions clés.
Que voulons-nous faire ? Redevenir un acteur souverain de l’histoire universelle du XXIe siècle, non pour développer une ambition impériale, mais pour garantir la maîtrise de notre destin et la pérennité de notre civilisation, fondée sur une conception modérée de la liberté, sur un capitalisme régulé et sur une société solidaire.
Trois domaines majeurs
Avec qui le faire ? La révolution conservatrice portée par Donald Trump crée une rupture irréversible dans l’histoire des États-Unis en les alignant sur les principes et les modes d’action des empires autoritaires. L’Europe doit dès lors se mettre en situation de faire avec les États-Unis quand elle le peut et sans les États-Unis si elle le doit. Et ce en européanisant l’Otan. Par ailleurs, la défense de l’Europe ne se confond pas avec l’Union. Le recours à la force armée reste le monopole des États et des nations. Et pour cette raison même, le Royaume-Uni tout comme la Norvège ou l’Islande doivent être pleinement intégrés à la défense du continent, même s’ils n’appartiennent pas à l’Union.
Comment le faire ? Il n’est de réarmement que national, a fortiori pour la France qui est dotée de l’arme nucléaire. Mais cela n’implique nullement que la coopération et la coordination soient impossibles.
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Chronique parue dans Le Figaro du 23 juin 2025