Les élections européennes se dérouleront dans un contexte inédit qui menace sa construction. L’Europe doit relever quatre grands défis.
L’Europe émerge difficilement d’une double récession provoquée par la plus violente crise du capitalisme depuis 1929 puis par la déstabilisation des dettes souveraines qui a manqué de peu emporter l’euro. La déflation qui lamine les classes moyennes ainsi que les incertitudes sur l’identité et les frontières du continent alimentent les populismes, laissant craindre la présence de 20 à 25 % de députés hostiles à l’Union dans le prochain Parlement. Enfin, l’annexion brutale de la Crimée par la Russie, la dérive autocratique de la Turquie de Recep Erdogan, l’instabilité politique et la violence sur lesquelles débouchent les révolutions du monde arabo-musulman soulignent la vulnérabilité du continent.
La construction européenne a été placée depuis l’origine sous le signe de la prospérité, de l’ouverture, de la démocratie et de la paix. Or ces quatre piliers sont ébranlés. La prospérité est sapée par le ralentissement de la croissance, le chômage et le surendettement des États. L’ouverture est remise en question par la reconstitution des frontières, le repli des sociétés, la renationalisation des politiques et l’affaiblissement des institutions communautaires. La démocratie est prise en otage par la poussée des extrémistes et par les mouvements sécessionnistes, de l’Écosse à la Catalogne en passant par les Flandres et l’Italie du Nord. La paix repose sur l’illusion du désarmement unilatéral et d’un vide de sécurité au moment où se renforcent les risques terroristes, la prolifération de la violence le long de l’arc de crise qui court de l’Afrique occidentale au Moyen-Orient, les menaces étatiques liées aux ambitions de la Russie ou de la Turquie qui mêlent les passions nationalistes et religieuses.
Les élections européennes doivent donc être utilisées pour débattre des défis que doit relever le continent :
- Le premier défi concerne la zone euro, devenue le cœur de la dynamique d’intégration et de l’économie du continent. D’importants progrès sont intervenus. La zone euro renoue avec la croissance (1,2 % en 2014), redresse sa compétitivité et stabilise son endettement public (93 % du PIB). La stratégie de reflation engagée par l’Allemagne depuis trois ans (hausses de salaire, instauration d’un salaire minimum) accompagne les efforts des pays dits périphériques avec le redressement de l’Irlande, la reprise de l’Espagne et du Portugal, la sortie de récession de la Grèce (0,6 % en 2014) et son retour sur les marchés. Pour autant, pointe la menace d’une déflation dont témoignent la mollesse de la croissance, la faiblesse de l’inflation (0,5 %), l’installation du chômage (19 millions de personnes), l’effondrement du crédit pour les PME. Il est urgent de rééquilibrer la politique économique dans un sens plus favorable à la croissance et à l’emploi avec des mesures de détente quantitative et la baisse de l’euro au plan monétaire, l’étalement dans le temps de l’ajustement budgétaire et une accélération des réformes structurelles. Mais la transformation des modèles nationaux, particulièrement en France, et la relance de l’intégration économique sont les deux conditions requises pour cette relance.
- Le deuxième défi est social. Le niveau du chômage, notamment chez les jeunes, constitue une menace pour le développement économique comme pour la démocratie. Il est donc impératif de lancer un vaste programme de formation, d’intégration et de mobilité pour les jeunes. Par ailleurs, la cohésion sociale, pendant de l’intégration économique, justifie une convergence fiscale et sociale qui préserve des marges de fluctuation nationales (taux d’impôt sur les sociétés, durée du travail, salaire minimum ou âge légal de la retraite compris entre 65 et 70 ans…).
- Le troisième défi concerne la révision de l’architecture institutionnelle de l’Union pour stabiliser définitivement la zone euro et endiguer la poussée des populismes. Les institutions de la zone euro ont été largement renforcées avec la constitution d’un gouvernement économique, la transformation de la BCE en prêteur en dernier ressort, la création du mécanisme de solidarité et la formation d’une union bancaire. Mais la plupart de ces innovations, imposées sous la pression de la crise, se trouvent en apesanteur par rapport aux traités.
- Le dernier défi est stratégique. L’Europe est un continent dépendant, soumis à la pression commerciale des pays émergents, aux ambitions impériales de la Russie, au chantage énergétique de Moscou qui assure le tiers de l’approvisionnement gazier, enfin à la domination technologique et financière des États-Unis. Il n’existe pas de liberté sans souveraineté et sans sécurité. Les Européens doivent repenser l’autonomie énergétique et la défense de leur continent.
(Chronique parue dans Le Figaro du 07 avril 2014)