La France est mal en point, mais pas finie. Mobilisation, mode d’emploi.
Jamais depuis la fin de la IVe République la France n’a été aussi affaiblie, aussi divisée au plan intérieur, aussi discréditée au plan international. Au plan économique, le choc fiscal de près de 100 milliards d’impôts levés depuis 2010 est en passe de plonger l’économie dans la déflation, avec la perspective d’une croissance nulle pour la décennie 2010. Au plan social, le chômage de masse s’installe, tandis que la paupérisation gagne, avec une richesse par habitant inférieure de 15 % à la moyenne des pays développés. Au plan financier, la faillite menace, avec une dette qui atteindra 95 % du PIB en 2014, comme le souligne la dégradation de la notation financière de la France par l’agence Fitch. Au plan international, notre pays est marginalisé en Europe par l’Allemagne, qui exerce seule le leadership de l’Union et de la zone euro, comme dans le monde, avec la perspective d’une sortie du classement des dix premières puissances à l’horizon des années 2020. Au plan politique et intellectuel, la France est en pleine régression, tournée vers le passé avec la sanctuarisation du modèle « taxer pour dépenser » issu des années 70, enfermée dans le déni du monde ouvert du XXIe siècle. La dépression intérieure va de pair avec le déclassement extérieur.
Il ne fait pas de doute que la première responsabilité de la débâcle va à la classe politique. C’est elle, droite et gauche confondues, qui a conçu et étendu le modèle de la décroissance par la dépense et la dette publiques, l’étatisme et le malthusianisme. C’est elle qui a enraciné l’euthanasie du travail et de l’épargne, la préférence pour le chômage, l’extension illimitée d’un État providence dont dépendent les trois quarts de la population pour une partie décisive de leurs revenus. C’est elle qui a abdiqué la souveraineté de la France face aux marchés financiers et qui a dilapidé son droit d’aînesse dans la construction européenne. C’est elle qui, sous couvert du culte de l’exception française et de l’idolâtrie de l’État, a théorisé son impuissance à réaliser les réformes rendues indispensables par la mondialisation, la chute du mur de Berlin et la création de l’euro.
Les Français ont désormais une conscience aiguë du déclin de leur pays et une compréhension non moins vive de l’incapacité de la classe politique à imaginer une stratégie de sortie de crise, car sa fusion avec la haute fonction publique rend impossible la réforme de l’État qui constitue le cœur du blocage de la nation, ainsi que vient de le démontrer une nouvelle fois la Cour des comptes. Dès lors, trois tentations se font jour. La première est celle de la révolte et de l’extrémisme, qui se traduit par la poussée spectaculaire du Front national. La deuxième est celle du repli individualiste et du désengagement de la vie de la cité, qui s’incarne dans la montée de l’abstention et du vote blanc. La troisième est celle de la fuite hors d’un pays décadent, qui a vu l’exil de 20 000 grandes fortunes en dix ans, la multiplication des abandons de nationalité française pour échapper à l’Etat de non-droit fiscal, enfin le départ de près de 200 000 jeunes depuis 2008 afin d’échapper à la spirale du chômage et de l’exclusion.
Si légitime soit le mépris qu’inspire la vie politique de notre pays, les citoyens d’une démocratie n’ont pas le droit d’aligner leur comportement sur la médiocrité et l’irresponsabilité de leurs dirigeants. Il est rationnel de vouloir quitter un pays qui détruit la richesse de ses entreprises et de ses citoyens pour alimenter la course folle de transferts sociaux totalement improductifs. Il est naturel de s’investir en priorité auprès de sa famille ou dans son entreprise pour sauver ce qui peut l’être de l’emprise d’un Etat prédateur. Il est louable de voir l’énergie d’une jeunesse privée d’emplois, rejetée aux lisières de la société, écœurée par le nihilisme de la politique nationale, se tourner vers les engagements humanitaires. Tout cela est compréhensible. Mais tout cela revient à ce que la France soit abandonnée par ses citoyens après avoir été abandonnée par ses dirigeants.
La vie politique est monopolisée par les hommes de parti. La politique de la France doit être assumée par les Français. De même que François Hollande commet une erreur cardinale en pariant que la crise se réglera d’elle-même et que la croissance et l’emploi sont de retour, les Français se trompent lourdement en misant sur le fait que la classe politique et l’État conduiront le redressement du pays, car ils sont au principe même de la prédation publique et de la société de défiance. Entre l’irresponsabilité illimitée des dirigeants et le renoncement citoyen à travers l’exil ou le repli sur soi, il existe la vitalité de la société civile et de l’esprit d’entreprise. Les Français ne doivent plus attendre le salut de leurs dirigeants : il n’existe aujourd’hui ni homme providentiel ni classe dirigeante alternative. Ils ne doivent pas davantage se reposer sur les marchés financiers, la Commission européenne ou l’Allemagne, car on ne réforme pas un pays de l’extérieur, à moins de faire courir de très grands risques à la démocratie, comme l’ont montré la Grèce et l’Italie.
Le véritable levier du redressement, ce sont les Français. Qu’ils se mobilisent pour frayer la voie du changement et la classe politique les suivra, car, pour être incapable d’agir, de réformer ou d’innover, elle épouse les mouvements de l’opinion. Comment, dès lors, servir notre pays ?
D’abord, refuser le mensonge en faisant nôtre la maxime de Jacques Rueff : « Soyez socialiste, soyez libéral, mais ne soyez pas menteur. » Chacun doit respecter les institutions, mais nul ne doit accepter le mensonge, qui doit être poursuivi et dénoncé pour ce qu’il est, à savoir la pire corruption de la démocratie. Le plus sûr moyen de ruiner notre pays consiste à persister dans le déni de son déclin ; le premier pas du relèvement est de faire la vérité sur ses difficultés pour entreprendre de les résoudre. Réhabiliter le patriotisme en témoignant des réussites des Français qui contrastent avec la chute du pays et illustrent les atouts que conserve notre pays, au premier rang desquels son capital humain. Les réussites exceptionnelles de nombre de nos concitoyens ou de nos entreprises doivent beaucoup aux compétences, aux marques, à l’histoire et à la culture de notre pays, dans des domaines aussi différents que le luxe, l’aéronautique, la gastronomie, le tourisme, la création artistique ou les mathématiques. Défendre résolument l’entreprise, qui constitue l’une des solutions contre l’État, qui est le problème, en sauvegardant une base productive qui pourra être redéveloppée. Cultiver la solidarité entre les talents et les pôles d’excellence français pour les aider à résister à la stratégie d’éradication qui les cible ainsi qu’à rayonner dans la société ouverte. Lutter contre le bannissement intérieur de la jeunesse. Face à la situation dramatique de notre économie, le principe de responsabilité oblige chacun à ne pas exposer davantage le secteur marchand. Mais toute personne qui a du pouvoir doit se poser chaque jour la question de ce qu’elle peut raisonnablement entreprendre pour offrir une chance à la jeunesse de France et casser le mur d’exclusion et d’indifférence dont elle est victime.
La France n’est pas finie. Ce qu’une génération nihiliste détruit, il reviendra aux suivantes de le relever. Encore faut-il qu’elle dispose d’un point fixe pour le faire. Cet espoir, c’est une certaine idée de la France qui n’est plus aujourd’hui à Londres, mais qui doit rester vivante dans le cœur et l’esprit, les initiatives et les actes de chaque Français.
(Chronique parue dans Le Point du 18 juillet 2013)