Notre pays, l’un des plus exposés à la faillite d’Athènes, fera face au même choix décisif : réformer ou sortir de l’euro. Sous le Grexit pointe le Fraxit.
La crise grecque marque un tournant historique. S’ajoutant à la ruine d’une économie retombée en récession, à la désintégration du système bancaire, à la disparition de toute confiance entre les Grecs eux-mêmes comme entre Athènes et ses créanciers, venant après le défaut auprès du FMI, le 30 juin, qui acte la faillite sans précédent d’un Etat développé, le rejet par 61 % des voix d’un accord liant nouveaux financements et réformes lors du référendum du 5 juillet rend inéluctable la sortie de la Grèce de la zone euro. Il reste désormais à l’organiser, alors même qu’elle ne figure dans aucun traité et que sa gestion ordonnée supposerait une coopération étroite entre la Grèce et ses partenaires. Or celle-ci paraît très compliquée au terme d’affrontements stériles qui ont totalement isolé la Grèce.
La Grèce s’apprête donc à acquitter le prix fort pour la démagogie de Syriza qui promettait de rester dans l’euro et de restructurer la dette tout en refusant les changements indispensables pour construire un Etat moderne. A l’exemple de l’Argentine ou du Venezuela, elle va perdre 10 à 20 % de sa richesse nationale, assister à un nouvel envol du chômage, voir basculer des pans entiers de la classe moyenne dans la grande pauvreté, sombrer dans l’instabilité et le populisme qui pourraient menacer la démocratie et l’appartenance à l’Union européenne. C’est la raison pour laquelle sa sortie de l’euro doit être accompagnée, notamment par les fonds structurels et par le soutien des banques.
Pour l’Europe, la Grèce ne constitue plus un risque systémique. Sa faillite va cependant entraîner une hausse des taux d’intérêt, dont la contagion gagne déjà les pays méditerranéens, ainsi qu’une réévaluation des risques souverains. Au total, elle peut cependant se révéler positive. En faisant disparaître l’incertitude permanente liée à la Grèce qui représente 2 % du PIB et 3 % de la dette de la zone euro, mais qui a monopolisé 80 % de l’agenda des sommets européens depuis 2010. En confortant la conversion de la BCE aux politiques monétaires non conventionnelles qui ont permis d’enrayer la spéculation contre la monnaie unique. En justifiant une accélération de l’intégration économique, fiscale et financière de la zone euro.
En dehors de la Grèce, c’est la France qui est la plus exposée à la faillite d’Athènes et à sa sortie de l’euro. D’où son acharnement à défendre un projet d’accord rendu caduc par le recours au référendum. D’où l’isolement complet de notre diplomatie en Europe.
Le soutien apporté par la diplomatie française à Syriza dans sa fuite en avant nihiliste ne répond pas seulement à des préoccupations de politique intérieure pour flatter la gauche radicale à la veille de l’élection présidentielle de 2017. Il obéit aussi à une nécessité impérieuse pour une France aux abois. Car sous le Grexit pointe le Fraxit.
Le premier impact de la faillite grecque est financier. L’exposition totale de notre pays à la Grèce s’élève à 66 milliards d’euros, soit 3 % du PIB. Le défaut auprès du FMI officialise cette perte qui vient s’ajouter à la dette, alors qu’un accord aurait permis de continuer à la tenir masquée. Or la dette publique de la France s’élevait à 2 090 milliards d’euros, soit 97,5 % du PIB au 31 mars. Avec le défaut grec, la dette publique française a donc dépassé 100 % du PIB au 30 juin.
Le deuxième canal de transmission de la crise grecque à la France est à chercher dans la hausse des taux d’intérêt, qui va par ailleurs être confortée par la fin des taux zéro de la FED aux États-Unis à partir de l’automne. Une progression de 100 points de base des taux entraîne 40 milliards d’euros de charges supplémentaires du service de la dette sur cinq ans. L’avantage lié à la baisse des taux impulsée par la BCE a été dilapidé en nouvelles dépenses budgétaires. Les finances publiques françaises sont donc à la merci d’un choc financier comparable à celui qui a frappé l’Italie à l’été 2011, alors même qu’il n’existe aucune marge de manœuvre, compte tenu du niveau record des dépenses et des recettes qui atteignent respectivement 57,5 % et 53,5 % du PIB.
Enfin et surtout, l’implosion de la Grèce prouve qu’il est impossible d’appartenir durablement à la zone euro sans en appliquer les disciplines. Dans un système de monnaie unique, les ajustements ne s’effectuent plus par l’inflation et la dévaluation, mais directement par les faillites d’entreprises, le chômage et la chute des revenus. La France se trouve de ce point de vue exactement dans la même situation que la Grèce. Son économie est certes plus compétitive et son Etat autrement plus efficace dans la collecte de l’impôt. Mais son modèle, qui associe 1 % de la population, 3,7 % de la production et 15 % des transferts mondiaux, est tout aussi insoutenable. Et la France est très loin de s’être réformée aussi profondément que la Grèce sous le gouvernement Samaras. La France se trouve confrontée au même choix décisif entre les réformes ou la sortie de l’euro. Avec cette responsabilité particulière qu’elle représente un risque systémique pour la zone et que sa sortie signifierait la fin de la monnaie unique et très probablement du grand marché européen. L’euro ne survivra pas au Fraxit.
Cinq leçons se dégagent pour la France de la débâcle grecque.
- La greffe d’un système de redistribution démesuré sur un appareil de production exsangue mène au défaut financier.
- Le surendettement ne mène pas seulement au défaut mais à l’aliénation de la souveraineté et à la destruction de la démocratie par les démagogues.
- Un pays finit toujours par payer ses dettes, le défaut appauvrissant les créanciers mais ruinant la population.
- Prétendre ne pas choisir entre l’euro et les réformes, c’est en réalité choisir le défaut et la sortie de l’euro.
- Le destin de la monnaie unique se trouve aujourd’hui non pas dans les mains de la Grèce, mais dans celles de la France, qui, si elle persiste dans le refus de se moderniser, l’emportera dans sa chute.
(Chronique parue dans Le Point du 09 juillet 2015)