Face aux régimes autoritaires, l’Europe peut renouer avec son histoire tout en devenant un pôle d’attractivité pour les talents comme pour les activités à forte valeur ajoutée en s’affirmant comme le héraut de la liberté politique et économique.
L’élection de Donald Trump et les premières décisions de son Administration ont achevé de plonger l’Europe dans la sidération et l’angoisse. Avec le soutien d’une grande majorité d’Américains qui la considèrent désormais comme un fardeau, Donald Trump lui applique comme au reste du monde la révolution Maga. Le 26 février, au lendemain de la visite d’Emmanuel Macron, qui n’a strictement rien obtenu, il a décidé une hausse de 25 % des droits de douane sur les produits européens pour réduire le déficit commercial de 157 milliards de dollars avec l’Union, tout en poursuivant la dérégulation massive des secteurs de l’énergie, de la finance et de la technologie. Non content d’abandonner tout soutien à l’Ukraine et de contraindre Kiev à rembourser l’aide reçue en accaparant ses terres rares, il s’aligne sur le narratif et la désinformation de Moscou, notamment au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, avec une résolution appelant à une « paix rapide en Ukraine », soit un simple cessez-le-feu sans garantie de sécurité pour Kiev. Et ce au moment où les difficultés s’accumulent pour Moscou tant au plan militaire qu’au plan économique. Loin de s’opposer à la Chine, à la Russie ou à l’Iran, Trump en fait ses partenaires, alors qu’il désigne l’Union comme un adversaire, voire comme un ennemi, revendiquant l’annexion du Groenland ou déclarant que « l’Union a été créée pour emmerder les États-Unis », humiliant Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche en se faisant le porte-parole de Vladimir Poutine.
Donald Trump est ainsi en passe de réaliser ce que Vladimir Poutine, avec l’invasion de l’Ukraine, n’avait pas réussi à obtenir : réveiller les Européens et les délivrer du rêve d’une sortie de l’histoire dans lequel ils se sont enfermés après la chute de l’URSS. En transformant l’Amérique en démocratie illibérale, en faisant éclater l’Occident, en ouvrant la voie à une guerre généralisée en Europe sous couvert de paix en Ukraine, il met les Européens au pied du mur. Dès lors que l’intégration dans un grand ensemble nord-atlantique qui était plébiscitée par la majorité d’entre eux est caduque, la seule alternative reste la soumission à l’impérialisme russe ou la transformation en un acteur souverain apte à assurer sa sécurité. Les Européens se trouvent ainsi contraints d’effectuer dans l’urgence les choix qu’ils ont refusés ou éludés depuis 1945 entre liberté ou servitude, croissance ou déclassement, réarmement ou guerre, puissance ou déclin.
Le paradoxe veut que l’Europe, du fait de ses faiblesses intérieures, se ressente et se comporte comme étant à la merci des empires autoritaires. Pourtant, elle dispose de formidables atouts qui lui donnent un avantage décisif face à la Russie, à l’Iran ou à la Turquie : un PIB dix fois supérieur à celui de Moscou ; des talents, des cerveaux et de l’épargne ; des entreprises et des réseaux commerciaux mondiaux ; une capacité d’innovation ; un grand marché gouverné par un État de droit et unifié autour de l’euro.
Le réveil de l’Europe ne dépend donc pas de ses moyens mais de sa volonté et de sa capacité à passer des discours aux actes. Or force est de constater que l’électrochoc provoqué par Donald Trump a contraint l’Union comme les États européens à prendre des initiatives inédites dans les deux domaines clés de la compétitivité et de la sécurité.
La Commission européenne a engagé un travail de simplification à travers cinq lois omnibus. La première, qualifiée de Clean Industrial Act, a été présentée le 26 février. Elle vise à réconcilier compétitivité et transition climatique, en diminuant le prix de l’énergie, en facilitant l’accès aux matières premières critiques, en instituant un fonds de décarbonation de 100 milliards d’euros, en limitant le champ d’application des directives CSRD et CS3D, en introduisant une préférence européenne dans les appels d’offres publics et privés, en prévoyant des plans de soutien pour les secteurs sinistrés de l’automobile, de l’acier et de la chimie.
La réaction des États européens a été plus vigoureuse encore concernant la défense. En Allemagne, au soir de sa victoire, Friedrich Merz a déclaré que « l’Europe doit atteindre l’indépendance vis-à-vis des États-Unis » et a plaidé pour intégrer dans le programme de sa future coalition la création d’un fonds de 200 milliards d’euros afin de moderniser la Wehrmacht. Au Royaume-Uni, Keir Starmer a annoncé le 25 février l’augmentation du budget de la Défense de 2,3 % du PIB à 2,5 % en 2027 et 3 % en 2029. En France, Emmanuel Macron a admis la nécessité d’accélérer la hausse du budget des armées au-delà des 3 milliards d’euros par an d’ici à 2030 prévus par la loi de programmation militaire. Au Danemark, l’effort de défense a progressé de 1,3 % du PIB en 2022 à 3,2 % en 2025, tout comme en Suède (2,6 % du PIB) et en Finlande (2,4 % du PIB). Simultanément, les États européens ont confirmé leur soutien à l’Ukraine et manifesté leur solidarité avec Volodymyr Zelensky après sa stupéfiante prise à partie par Donald Trump et JD Vance. Ils ont engagé les travaux de planification pour se substituer à l’aide militaire américaine et étudient les garanties de sécurité qu’ils pourraient apporter à Kiev dans le cadre d’un accord de paix tout en accélérant leur réarmement afin de dissuader une future agression de la Russie.
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Chronique parue dans Le Figaro du 3 mars2025